En arrivant à Barcelonnette, petite ville d’un peu plus de deux mille cinq cents âmes, nichée dans la vallée de l’Ubaye à plus de 1100 mètres d’altitude, on pourrait se demander pourquoi la référence mexicaine est aussi forte ici.

En effet, El Zocalo, nom de la très grande place centrale de Mexico, a donné son nom au théâtre ; on y trouve une avenue du nom de Porfirio Diaz, emblématique homme d’Etat et président Mexicain et pour finir Barcelonnette est jumelée avec Valle del Bravo, une commune située bien sûr au Mexique.

On retrouve des noms mexicains également dans les commerces et restaurants, Zapata, Adelita, Azteca, Tampico ou dans la résidence pour personnes en situation de handicap, Hacienda. Forcément tout cela ne peut pas être le fruit du hasard !

Ces Ubayens partis faire fortune au Mexique

En se dirigeant sur le plan de la ville, on peut lire qu’il y a une « avenue des trois frères Arnaud ». Une artère importante, pour une famille importante. Les frères Arnaud ont en effet initié un mouvement d’émigration des habitants de la vallée vers le Mexique à la suite de leur réussite dans le commerce du tissu. 

Les frères Arnaud, étaient propriétaires d’une soierie à Jausiers à quelques kilomètres de Barcelonnette. Le premier d’entre eux, Jacques, émigra d’abord en Louisiane où il gagna sa vie en vendant des textiles à l’armée américaine et fonda même une petite ville avec ses frères qui porte le nom de Arnaudville. Ensuite il s’installa en 1821 au Mexique, qui venait de trouver son indépendance et accueillait de nouveaux investisseurs. Il y fonda un grand magasin de tissus dont les échos de la réussite retintèrent jusqu’en Ubaye.

Richissimes, ils firent leur retour temporaire en 1845 dans leur village natal, ce qui déclencha une vague d’émigration sans précédent : pendant plus de soixante-dix ans près de trois mille « Barcelonnettes », c’est comme ça qu’on les nomma, tentèrent leur chance au Mexique. C’est l’élite locale qui partit la première pour développer outre-océan le commerce qu’ils maîtrisaient : celui des textiles. Les Ubayens étaient en effet depuis de nombreuses générations des colporteurs de tissus.

On dit qu’il y a aujourd’hui entre vingt et cinquante mille descendants Ubayens qui vivent au Mexique, à mettre en relation avec les sept mille qui habitent aujourd’hui dans la vallée. Deux grandes chaînes de magasins créées au temps de cette émigration par des Ubayens, existent encore : Palacio de Hierro et Liverpool.

Les émigrés Ubayens qui réussirent et revinrent au pays, bâtirent dans la vallée, de somptueuses maisons que l’on appelle encore aujourd’hui les « Villas Mexicaines ». Le retour de l’émigration au Mexique doit être encadrée dans le contexte de l’invasion du pays par Napoléon III et du règne de Maximilien de Habsbourg, ainsi que de sa conclusion dramatique en 1866.

Des « villas mexicaines » pas très mexicaines

Afin de montrer leur richesse dans une vallée relativement pauvre et paysanne de la fin du XIXème siècle comme l’était l’Ubaye, ces nouveaux-riches revenus du Mexique se firent construire de grandes maisons dans le style architectural le plus ostentatoire et à la mode de l’époque. C’est pour cela que l’on voit aujourd’hui des maisons de style éclectique, art nouveau et art déco disséminées dans Jausiers, Barcelonnette et parfois dans des petits hameaux dans la campagne. Ce sont les « Villas Mexicaines »

Rien de mexicain dans ces maisons, sauf l’histoire qui a permis de les construire et le nom de certaines d’entre elles : Puebla, Anita, Durango, Morelia, La Tapatia, etc. Les premières maisons étaient construites avec une structure massive et on les appelait « bâtisses », ensuite le style évolua en leur donnant davantage d’élégance et d’originalité et on les appela « châteaux ».

Quelques villas ..

Le château des Magnans, à Jausiers, construit au début du XXème siècle est de loin le plus surprenant et le plus spectaculaire. De loin, il rappelle les châteaux romantiques de Bavière, avec sa tour, ses fenêtres néo-gothiques et sa couleur blanche étincelante. Transformé dans les années ’60 en hôtel, c’est aujourd’hui une résidence de tourisme.

La Villa Morelia, un autre château de Jausiers, abrite un hôtel de luxe et un restaurant gastronomique. C’est une adresse exclusive de la vallée.

On dénombre une cinquantaine de villas à Barcelonnette et une vingtaine à Jausiers. La plupart de ces villas sont des propriétés privées, et si on peut les apercevoir discrètement à travers les frondaisons des arbres qui les entourent, on ne peut pas les visiter.

Sauf une, La Sapinière, construite en 1878, qui abrite les collections du Musée de la Vallée à Barcelonnette, dont une large section est dédiée à l’art mexicain et à l’histoire de l’épopée des « Barcelonnettes ». Elle se trouve dans la partie Est de la ville, là où la concentration en est la plus élevée et qui abrite la « villa Costebelle », également inscrite aux Monuments Historiques.

Une des dernières à avoir été construites est la Villa Bleue, pour compte du propriétaire d’un grand magasin de nouveautés à Mexico, dont la façade, la toiture et un grand vitrail intérieur sont des éléments protégés aux Monuments de France. L’Office du Tourisme de Barcelonnette a édité un petit plan pour ne rien rater des villas mexicaines pendant votre promenade dans la ville.

A Barcelonnette et Jausiers, les morts sont importants !

On n’emporte pas ses richesses avec soi lorsqu’on trépasse, mais on peut se faire construire des tombes monumentales en guise d’ultime demeure. C’est ce qu’ont fait ces richissimes migrants à leur retour. Pour en avoir la preuve, il suffit de se promener dans les cimetières de l’Ubaye et admirer les œuvres monumentales façonnées avec art et expertise par des tailleurs de pierre et des marbriers italiens, venus de la province voisine de Cuneo, dans le Piémont. 

D’ailleurs ils finiront par s’installer sur place tellement il y avait de travail en créant les prémices d’une petite communauté d’immigrés piémontais. Mais la célébration des défunts ne s’arrête pas aux portes des cimetières, c’est dans la ville de Barcelonnette qu’à la période de la Toussaint, retentit la Fête des Morts à la mode mexicaine.

Pendant les Dias de Muertos, qui durent trois jours, à Barcelonnette, de nombreuses activités festives sont programmées : bals populaires, fêtes déguisées, défilés, concerts, ateliers, expositions artistiques, gastronomie mexicaine… En 2024, ce sera du 25 au 27 octobre.

Cependant, la pleine saison touristique de l’Ubaye, c’est l’été. Et c’est en effet en plein mois d’août que se tiennent les Fêtes Latino-Mexicaines de Barcelonnette. Précisément du 8 au 17 août 2024.

Au programme, une vraie découverte du Mexique.  La musique des Mariachis, la culture et les rites Aztèques, la gastronomie, les costumes et les couleurs de ce pays qui a tissé des liens d’amitié avec une petite communauté des Alpes de Haute Provence.

Une histoire d’amitié franco-mexicaine

De nos jours l’histoire de cette amitié franco-mexicaine n’est pas scellée uniquement dans la pierre des villas ou des stèles des cimetières, ni glorifiée pendant les fêtes culturelles d’inspiration mexicaine, mais elle perdure dans les échanges d’étudiants et dans le tourisme des racines.

Dans tous les cas elle est gravée à jamais sur la plaque posée sur l’imposant Monument aux Morts de la Première Guerre Mondiale pour honorer les onze soldats mexicains tombés pour la France. Barcelonnette est à jamais la plus mexicaine des villes françaises.

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Franco-italien de naissance, habitué dès mon plus jeune âge à traverser les frontières et à découvrir la culture alpine commune aux différents Pays, j’ai décidé de centrer mon activité professionnelle sur ma passion pour les Alpes, en tant que rédacteur, copywriter et consultant dans le tourisme et l’outdoor. Je pratique beaucoup de sport, j’aime lire, écrire et voyager et j’ai toujours sur moi un appareil photo !

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