C’était la période de la Belle Epoque, c’était l’époque des projets fous. A Saint Gervais – Mont Blanc, on envisageait même de construire une ligne de chemin de fer qui conduirait les passagers jusqu’au sommet du Mont Blanc.

Aujourd’hui cela nous semblerait presque insensé, mais au début du XXème siècle, l’envie de découvrir, d’utiliser la technologie, et de développer le tourisme donnaient lieu à une surenchère de projets portés par des industriels ou de mécènes.

Rendre le sommet du Mont Blanc accessible à tous les touristes était un de ces rêves fous. On sait aujourd’hui que cela ne s’est finalement pas fait.

Qu’est devenu ce projet ? Où s’arrête cette voie ferrée ?

La course au sommet du Mont Blanc

A la fin du XIXème siècle, les innovations ferroviaires autour de la crémaillère ont permis d’atteindre plusieurs sommets ou cols à haute altitude dans les Alpes. La Suisse était le moteur de ces aménagements. Il est facile donc d’imaginer l’excitation qui pénétrait les milieux montagnards autour des projets les plus fous, dont ceux de trouver un moyen d’atteindre le sommet du Mont Blanc.

Dès 1895, la bataille entre projets pour atteindre le Toit de l’Europe commença. Les premières questions furent comment et par où. Fallait-il imaginer une ligne de chemin de fer tracée sur un parcours entièrement souterrain ? Fallait-il un parcours mixte, en partie en extérieur, en partie dans des tunnels. Est-ce que les projets d’ascenseurs avaient plus de chances d’aboutir que les projets de train ? Toutes ces questions furent débattues lors de chacune des présentations de projet.

Pour finir, les deux solutions qui semblaient les plus réalistes furent d’une part une ligne souterraine au départ des Houches, dans la vallée de Chamonix et d’autre part une ligne en partie extérieure et en partie souterraine partant du Fayet, point d’arrivée de la ligne du chemin de fer à l’époque.

Ceci lançait la rivalité entre Chamonix et Saint Gervais au sujet de la suprématie sur le Mont Blanc. En réalité, les deux tracés avaient été proposés par Saturnin Fabre, un ingénieur, qui ensuite s’associa à Vallot, alpiniste célèbre, pour défendre l’accès par la vallée de Chamonix, alors que le tracé de Saint Gervais était défendu par Duportal, un autre ingénieur.

Ne pouvant prendre une décision, les autorités locales s’en remirent à la décision du Conseil d’Etat, tout heureux de rappeler que le Mont Blanc était français depuis le transfert de la Savoie entre le Royaume de Sardaigne et la France et qu’il était normal de soutenir un projet aussi grandiose.

Le tracé choisi en 1907 allait donc passer par la voie de Saint Gervais, principalement pour deux raisons. La première était la possibilité d’établir un nœud ferroviaire au Fayet, ce qui aurait facilité le tourisme, et la deuxième était le tracé lui-même, passant en grande partie à l’extérieur et bénéficiant du climat plus doux du versant ensoleillé de l’Aiguille du Goûter.

Le point bas du tracé serait donc Le Fayet à environ 500 m d’altitude et le point le plus haut, les Rochers Rouges à 4573 m d’altitude, juste en dessous du dôme sommital du Mont Blanc. Ce serait le plus haut chemin de fer d’Europe.

Ainsi naissait la Compagnie du Tramway du Mont Blanc.

Le Tramway du Mont Blanc

De nos jours, le Tramway du Mont Blanc arrive jusqu’à la gare du Nid d’Aigle, à proximité du glacier de Bionnassay, à 2372 mètres. C’est-à-dire 2200 mètres plus bas que ce qui était prévu. Que s’est-il passé ?

Nid D’aigle et le glacier De Bionnassay (c) CC BY SA Wikimedia Commons

On peut considérer que la première guerre mondiale a eu raison du projet. C’est en effet au Nid d’Aigle que la ligne de chemin de fer aboutissait déjà le 1er août 1913.

Des problèmes financiers avaient déjà retardé le projet, mais en 1910 un repreneur l’avait relancé. Cependant, il fallait revoir les études d’ingénierie pour le tracé en tunnel qui allait débuter peu après le glacier de Bionnassay. Malheureusement pour le projet et peut-être heureusement pour l’équilibre de l’écosystème du Mont Blanc, le trajet n’ira pas plus loin.

La guerre allait éclater en 1914, un an plus tard, durer quatre ans et coûter très cher. A la fin du conflit les priorités étaient ailleurs que dans la conquête des cimes…

Néanmoins, c’est toujours sous le nom de Tramway du Mont Blanc, qu’aujourd’hui il est possible d’emprunter cette ligne de chemin de fer. En effet, depuis les années ’20 et à l’exception de la période de la deuxième guerre mondiale, cette ligne de chemin de fer a toujours attiré des touristes en les rapprochant au plus près de la haute montagne, par un voyage saisissant entre les forêts et les pâturages.

Depuis la fin des années 1950 la ligne est électrifiée .. Les trois rames en service, en 1956, lors de l’électrification, portaient les noms de Marie, Jeanne et Anne, du nom des filles du premier Directeur du Tramway du Mont Blanc. Dernièrement les trains eux-mêmes ont été modernisés pour améliorer le confort des voyageurs, mais ils portent toujours ces noms. Une quatrième rame existe maintenant. Elle se nomme Marguerite. Du nom de la quatrième fille. Il avait huit enfants, les quatre qui manquent à l’appel étaient des garçons.

Où va-ton avec le tramway du Mont Blanc ?

En été, la ligne de chemin de fer monte jusqu’à son terminus historique, le Nid d’Aigle. Il est fréquent, à bord, de croiser des alpinistes qui s’élancent du terminus pour atteindre le refuge du Goûter et de là, la Voie Royale pour l’ascension du Mont Blanc.

Cependant, pour les simples randonneurs, le service s’arrête pour le moment au Mont Lachat. Pour aller au-delà et aller voir les crevasses et les seracs du glacier de Bionnassay, il faudra monter à pied. La construction de la nouvelle gare du Nid d’Aigle et sa mise en sécurité et son ouverture au public sont prévues pour l’été 2025.

En hiver, la ligne de chemin de fer déplace son terminus, plus bas au Col de Voza et à Bellevue, là où elle croise les remontées mécaniques de la station de ski des Houches. Parmi les pistes, on retrouve la mythique piste noire de Kandahar (connue aussi sous le nom de Verte des Houches), site des descentes de championnat du monde de ski, lors de son étape à Chamonix. Les skieurs peuvent donc emprunter le Tramway du Mont Blanc pour aller skier en partant de la gare du Fayet, ou de la gare intermédiaire de Saint Gervais.

En période hivernale de pointe, les weekends et en été, comptez un départ toutes les heures. Pendant la basse saison, comptez un train toutes les deux heures.

Les trains effectuent leur service entre la mi-juin et la fin septembre et entre décembre et avril.

Un aller-retour pour le Nid d’Aigle coûte 38.50€. Les trajets du tramway sont inclus dans les forfaits multi-activités Mont Blanc.

Saint Gervais – Mont Blanc, une creusot d’innovation pour les transports en montagne.

Ces dernières semaines, Saint Gervais Mont Blanc a fait la une des journaux d’actualité par l’achèvement de deux projets novateurs dans le domaine des transports non carbonés.

Ceci fait de Saint Gervais Mont Blanc un très intéressant laboratoire expérimental pour les mobilités à bas carbone.

La gare du Fayet, située dans la vallée de l’Arve, en contrebas de Saint Gervais, relie par le rail aussi bien la Suisse, via Genève, que le reste de la France, via la ligne de Paris et Lyon ou celle d’Annecy, ainsi que la Vallée de Chamonix, jusqu’à Vallorcine, d’où on peut atteindre Martigny en Suisse, par le rail également. C’est un nœud ferroviaire important pour la haute vallée de l’Arve.

Mais Saint Gervais, le village du haut, à l’entrée du Val Montjoie est un village habité à l’année qui a besoin de services, tout en étant un village très touristique avec son domaine skiable, ses thermes, proches de la gare du Fayet et son accès aux hautes cimes du Massif du Mont Blanc.

Le tramway du Mont Blanc avec ses horaires cadencés, son activité réduite hors saison touristique et sa capacité de transport réduite ne pouvait pas répondre au besoin croissant de la population de pouvoir jouir d’une mobilité simplifiée.

La prise de conscience progressive de cette situation géographique unique a libéré une réflexion qui a conduit à la réalisation des projets récents qui méritent également une mention dans cet article

Le « Valléen », un exemple de nœud intermodal en zone de montagne

Le Valléen est une télécabine urbaine innovante qui relie la gare SNCF du Fayet au centre du village de Saint Gervais Mont Blanc. Les voyageurs en provenance de Paris, Lyon ou Genève et arrivant en train s’arrêtaient à cette gare avant de devoir prendre des navettes pour parcourir les derniers kilomètres et atteindre le village touristique.

Ce système téléporté permet aussi aux étudiants de se rendre plus facilement dans leurs écoles et aux habitants d’éviter de se déplacer en voiture lorsqu’ils doivent se rendre dans la vallée, vers Sallanches ou Genève. Au total on estime pouvoir résoudre de 25% le trafic routier et de 15 000 le nombre de véhicules stationnant en une année dans les parkings du village.

Sans compter que cette télécabine arrive au pied de la télécabine du Bettex qui donne accès au domaine skiable de Saint Gervais et Megève et permet ainsi de venir skier « skis aux pieds », en train.

Le 6 septembre 2024, le Valléen a été inauguré, à temps pour la rentrée des écoliers. Un passage coûte 2.50€, et il tourne tous les jours de 7h à 20h30.

« L’ascenseur des Thermes » : un système unique original de fonctionnement

Saint Gervais Mont Blanc est une localité connue pour la qualité de ses eaux thermales.

Depuis le début du XIXème siècle, un établissement est né là où surgissaient des eaux soufrées aux vertus salutaires. La vocation thermale de Saint Gervais est lancée, et perdure depuis, malgré la destruction de l’établissement à la fin du XIXème siècle à cause d’énormes inondations liées à la soudaine vidange naturelle d’un lac glaciaire en altitude. Une gamme de produits dermo-cosmétique a été créée, et depuis 2016 les Thermes de Saint Gervais sont rentrés dans le giron de L’Oréal. A côté des cures thermales traditionnelles, les Thermes offrent maintenant aussi des soins relaxants au spa thermal.

Thermes de Saint-Gervais après renovation (c) CC BY SA Wikimedia Commons

Le site se trouve en contrebas du village de Saint Gervais, dans un vallon ombragé, ce qui rend la vie dure aux curistes, obligés de s’y rendre en navette, ou par une longue promenade dont le retour est en côté.

Le 3 Août 2024, on célébrait donc l’inauguration de « l’ascenseur des Thermes » à Saint Gervais.  Cet ascenseur à plan incliné (comme un funiculaire) permet de rejoindre les Thermes en seulement cinq minutes, de façon totalement décarbonée. Son fonctionnement repose sur la base d’un système hydraulique qui utilise les eaux usées.

Avant d’être envoyées vers le système d’évacuation des eaux usées, celles-ci ont une dernière fonction : assurer le poids nécessaire au fonctionnement de l’ascenseur.

La cabine possède un réservoir qui se remplit d’eaux usées et permet par gravité, la descente. Le poids de l’eau dépasse celui du contre-poids. A l’arrivée, en bas, le réservoir se vide dans le système des eaux usées et la cabine est prête à remonter grâce au contre-poids.

Ce système ingénieux est le premier de ce type installé en France et il n’y en a qu’un autre dans le monde, à Fribourg en Suisse, qui fonctionne depuis 1899.

Seize personnes peuvent monter à bord de cet ascenseur, qui tourne gratuitement, en continu, entre 6h et 22h tous les jours.

Saint-Gervais, une destination touristique qui mérite le détour

On vient à Saint Gervais pour le Tramway du Mont Blanc, les innovations technologiques récentes en matière de mobilités douces, mais aussi pour son patrimoine.

Saint Gervais, et tout le val Montjoie, sont au cœur du baroque haut-savoyard. Plusieurs chemins permettent de parcourir l’ensemble des chapelles baroques qui de Saint Nicolas de Véroce ponctuent le chemin qui mène à Notre Dame de la Gorge. Ces chapelles ont été construites au moment de la contre-réforme pour affirmer la primauté de la religion catholique face à la vague protestante qui se mettait en place du côté de Genève et du Lac Léman, et ont bien sûr été décorées en style baroque, dont le faste était étroitement lié à cette période.

L’église au centre de Saint Gervais a été entièrement restaurée grâce à un projet dans le cadre européen Alcotra. L’église fut rebâtie par un riche commerçant local qui avait fait fortune à Vienne au début du XVIIIème siècle. Ses fresques extérieures sur la façade, ses décorations intérieures en style baroque, son clocher à bulbe qui s’élève de quarante mètres et ses vitraux modernes font de cette église un véritable chef d’œuvre.

La belle esplanade ensoleillée qui surplombe la vallée, à l’entrée du village permet un joli point de vue sur la nature environnante, mais elle ne permet pas de voir le Mont Blanc.

En effet, du centre-ville de Saint Gervais Mont-Blanc, on ne voit pas le Toit de l’Europe occidentale. Néanmoins, sur la montagne qui lui fait face, le Mont d’Arbois, et dès le village du Bettex, que l’on atteint en télécabine ou à pieds, la vue est somptueuse. Les glaciers étincelants s’élèvent au-dessus de Saint Gervais, par-delà le Col de Voza et le Nid d’Aigle.

Tout le tracé du Tramway du Mont Blanc est visible et on imagine bien comment celui-ci aurait pu monter encore plus haut dans les glaces en direction du sommet du Mont Blanc.

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Franco-italien de naissance, habitué dès mon plus jeune âge à traverser les frontières et à découvrir la culture alpine commune aux différents Pays, j’ai décidé de centrer mon activité professionnelle sur ma passion pour les Alpes, en tant que rédacteur, copywriter et consultant dans le tourisme et l’outdoor. Je pratique beaucoup de sport, j’aime lire, écrire et voyager et j’ai toujours sur moi un appareil photo !

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