La coopération sanitaire transfrontalière en Europe /7
L’Europe ne peut pas faire grand-chose pour la coopération sanitaire si, dans ses traités, l’article 168 du TFUE stipule explicitement qu’elle ne peut pas promouvoir la convergence des Etats membres en matière de santé. De plus, deux règlements et une directive sur le même sujet n’aident pas à la clarté, si bien que les progrès sur le terrain, même bilatéraux, sont plus importants qu’en Europe.
D’où l’importance de la construction d’une Europe de la santé, dont le besoin fondamental s’est fait sentir lors de la pandémie mais qui est nécessaire pour les grands défis contemporains, de la lutte contre le cancer aux nouvelles technologies, en passant par l’intelligence artificielle.
Les centaines de projets transfrontaliers en matière de santé, la multiplicité des collaborations inter-hospitalières et territoriales, le grand nombre de conventions et d’accords intergouvernementaux ou locaux correspondent à un grand effort de construction européenne en matière de santé. La connaissance mutuelle, l’adaptation à des systèmes organisationnels, sanitaires et financiers similaires, mais aussi des différences marquées, ont conduit à l’identification de solutions à législation inchangée, à la production de conventions et d’accords intergouvernementaux et entre collectivités territoriales, qui ont pallié un certain « manque d’Europe » et ont permis dans certains cas de « aller plus loin que l’Europe ».
Toutefois, même s’il convient de reconnaître la détermination, la compétence et la créativité des protagonistes des coopérations existantes, le cœur du problème réside dans la législation européenne sous-jacente, à savoir l’article 168 du TFUE et, en aval, les règlements n° 883/2004 et n° 987/2009, ainsi que la directive n° 24 de 2011.
En ce qui concerne l’article 168 TFUE, le problème le plus évident réside dans l’obstacle explicite à la convergence et à l’harmonisation des législations, comme s’il n’était pas déjà extrêmement difficile et complexe dans la pratique de suivre cette voie, qui nécessite de longues négociations techniques et politiques et un consensus extrêmement large, jusqu’aux entités régionales.
S’il est vrai que des modifications globales des Traités sont politiquement difficiles à proposer à ce stade historique, il sera en revanche possible de réfléchir dans un avenir proche à leurs ajustements ponctuels, sur la santé mais aussi sur d’autres questions fondamentales, de la politique extérieure et de défense à l’énergie et au marché intérieur. Le point sur l’harmonisation des législations prévu à l’article 168 devra alors être abordé et révisé.
En ce qui concerne la législation européenne ordinaire, en revanche, il existe un consensus sur le fait que l’existence de deux règlements et d’une directive sur le même sujet constitue une base juridique inégale pour la coopération et la construction d’une Europe de la santé. Le processus de révision devra probablement unifier la base juridique en un seul acte et, d’autre part, l’actualiser en fonction de la situation et des besoins sur le terrain. Les progrès de la coopération devront être pris en compte, ainsi que les expériences de la crise pandémique, où même les critères de présentation des données de santé publique divergent entre les États membres.
Enfin, cette large disponibilité d’expériences, de projets et de conventions peut également être utile à la réflexion italienne en matière de coopération bilatérale ou multilatérale dans le domaine de la santé, notamment sur les frontières terrestres, de la Slovénie et de la Croatie à l’Autriche et à la Suisse.
En ce qui concerne le Traité franco-italien de coopération renforcée, dit Traité du Quirinal, signé à Rome le 26 novembre 2021, l’accord bilatéral sous-jacent envisagé dans le domaine de la santé pourra s’inspirer (dans le lexique européen, « pourra capitaliser ») non seulement de l’expérience franco-allemande liée aux Traités de l’Élysée et d’Aix-la-Chapelle – avec leurs conventions-cadres et sectorielles.
Elle pourra également s’inspirer d’autres expériences européennes plus réussies, de l’expérience franco-belge à l’expérience germano-néerlandaise, en tenant compte des erreurs commises et des obstacles difficilement surmontables à législation européenne inchangée.
(Septième et dernier article de la série)
Série de sept articles tirés d’un essai d’Enrico Martial dans le volume « La cooperazione sanitaria transfrontaliera : sfide ed esperienze », édité par Raffaella Coletti et Gabriella Saputelli, Rome, Giuffré 2022, dans une série de l’ISSIRFA du Conseil national de la recherche (CNR).
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