Nous publions une analyse de Jean-Pierre Darnis sur le thème des relations franco-italiennes et sur la comparaisons des systèmes et des pratiques politiques (Nos Alpes)

En Italie, le rôle du président est nettement moins central qu’en France. Mais il devient essentiel au moment de la désignation du premier ministre, spécialement quand les législatives n’ont pas donné lieu à une majorité nette. La France est dans ce cas aujourd’hui ; et bien qu’une telle idée semble fort éloignée des prérogatives d’un président jupitérien, Emmanuel Macron pourrait peut-être s’inspirer du modèle transalpin…

La situation de blocage politique qu’a connue la France à la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale de juin 2024 puis de la censure du gouvernement Barnier amène à s’interroger sur les limites d’un système qui a du mal à gérer le caractère non bipolaire de l’actuel Parlement. La logique d’une élection présidentielle qui entraînait ensuite soit une majorité à l’Assemblée acquise au président élu, soit le rejet de celui-ci au travers de l’élection d’une majorité contraire, a été mise à mal par l’élection de juillet dernier. Et il faut composer, ne serait-ce que temporairement, avec le multipartisme avant de pouvoir organiser de nouvelles élections. Il peut être dès lors judicieux de se tourner vers d’autres démocraties parlementaires pour comprendre les mécanismes qui permettent la mise en place de coalitions dans des circonstances comparables. Le cas italien peut offrir un exemple particulièrement intéressant dans ce cadre.

Quelles sont les prérogatives du président en Italie ?

En Italie, le président de la République est élu tous les sept ans, une durée qui rappelle la situation française avant la réforme constitutionnelle de 2000. Le président est élu au suffrage universel indirect (par le Parlement réuni en congrès), avec un calendrier qui ne colle pas à celui des législatives. Ici, nous avons donc un cas dans lequel il ne peut pas véritablement s’exercer d’effet d’entraînement direct entre l’élection du président et les élections législatives, sauf dans le cas d’une conjonction de calendrier plutôt rare.

Par exemple, la prochaine élection présidentielle italienne devrait avoir lieu en 2029, alors que les législatives sont prévues pour 2027. Cette non-correspondance a été souhaitée, car elle découle d’une vision constitutionnelle marquée par la volonté d’éviter les excès qui avaient caractérisé le régime fasciste, et donc d’empêcher la concentration du pouvoir dans les mains d’une seule personne.

De ces prémisses découlent une série de caractéristiques. Le président de la République italienne est un garant des institutions qui n’exerce pas de rôle exécutif, tout en étant cependant doté d’une marge de manœuvre en ce qui concerne la promulgation des lois (un refus peut entraîner une nouvelle délibération) ou bien des capacités importantes de bornage en matière de politique internationale, dans l’interprétation qui est faite de son rôle de garant de la Constitution, étendue aux traités internationaux, en particulier européens.

On observe ainsi que l’actuel président, le démocrate-chrétien Sergio Mattarella (83 ans, élu en 2015 et réélu en 2022), est intervenu pour s’assurer de la bonne entente entre Rome et Paris et a œuvré pour la signature du Traité du Quirinal en 2021.

De plus, lui est attribué le commandement des forces armées, un pouvoir qui définit un rôle suprême en cas de conflit.

Un rôle clé en cas de Parlement sans majorité nette

Ce qui apparaît comme intéressant en ayant en tête la problématique française, c’est le rôle très actif que joue le président de la République italienne lors de la formation des gouvernements à la suite des législatives.

C’est dans ce contexte que ce président garant se retrouve au centre du jeu politique. Nous observons ici une forme de jurisprudence institutionnelle dans laquelle, une fois les Chambres constituées, le président de la République reçoit chacune des formations politiques représentées au Parlement italien. À la suite de ces consultations, il confie à une personnalité un mandat « exploratoire » pour former un gouvernement. Il s’agit dans la plupart des cas du leader de la coalition issue des urnes. Mais lorsque les résultats des élections ne définissent pas une majorité claire, alors ce mandat peut être confié à une personnalité tierce que l’on considère comme capable de réunir une majorité, un représentant politique minoritaire, voire un expert reconnu comme un « technicien ».

Ce chef putatif du gouvernement va être doté d’un bureau et d’un secrétariat au Sénat pour mener à bien les négociations avec les différents partis. À l’issue de ces tractations, il retourne voir le président de la République pour éventuellement mettre fin à cette période exploratoire et accepter le mandat de président du Conseil des ministres, en se soumettant ensuite au vote de confiance du Parlement. Il peut également constater une impasse et renoncer à son mandat, le président de la République reprenant alors la main.

Nous avons donc dans le cas italien un rôle crucial du président de la République. Mais ce rôle est encadré par des marges de manœuvre assez précises. Dans les cas de majorité nette issue des législatives, le président se borne à enregistrer les résultats des urnes et à accompagner la nomination de la coalition gagnante. En cas d’absence de majorité, il va orienter la formation du gouvernement par le choix de telle ou telle personnalité comme potentiel chef du gouvernement. Mais il le fait en écoutant de manière systématique l’ensemble des formations politiques et en recueillant les expressions de convergence.

Ensuite, le mandat exploratoire confié à une personnalité permet un second travail politique, celui d’une entente programmatique et partisane qui doit être incarnée par le potentiel chef du gouvernement (le président du Conseil des ministres). Ce second niveau de négociation, différent de celui exercé par un président de la République qui ne fait que « consulter », à l’avantage de préserver ce dernier et de lui conserver toute sa légitimité au cas où l’opération échouerait. L’exposition du candidat au poste de chef du gouvernement et la concomitante protection du président de la République qui en découle offrent une garantie de durabilité au système, qui peut ainsi affronter des situations de crise à répétition sans que cela apparaisse véritablement comme une remise en cause des institutions dans leur ensemble.

On a par exemple pu observer un cycle politique récent dans lequel le même Parlement a déterminé en 2018 une entente M5S-Lega qui soutenait le gouvernement Conte 1, puis en 2019 le gouvernement Conte 2 qui se basait sur une entente Parti démocrate-M5S alors qu’ en 2021 le gouvernement Draghi a pu compter sur le soutien d’une coalition transversale de partis.

Ce système fait donc preuve d’une particulière flexibilité et résilience, même en cas de géométries variables au sein du Parlement. On notera également que c’est le président de la République qui prend la décision de dissoudre le Parlement et de convoquer de nouvelles élections en cas d’impasse. L’actuel président, Sergio Mattarella, apparaît réticent à utiliser la dissolution, préférant mettre les partis politiques face à leurs responsabilités dans le cadre de la législature en cours. Il s’agit d’ailleurs d’une indication politique majeure, celle d’un président qui se refuse à utiliser la dissolution comme un bouton de « reset » à répétition.

On le voit donc, dans le cas italien, ce rôle présidentiel est fondamental, tout en se voulant distant de la logique partisane.

C’est d’ailleurs sur ce point que peut résider la principale leçon que le cas italien offre à la crise française. Dans le cadre parlementaire, marqué par la nécessité d’une recherche de coalitions, l’existence de deux figures distinctes apparaît très utile : celle du président de la République, qui guide la procédure conduisant à la formation ; et celle du chef du gouvernement, qui assume le risque politique inhérent à la formation de l’exécutif. Ce qui, par ricochet, amène à une conception non exécutive du rôle du président de la République qui, en temps « normal », se montre relativement discret alors qu’il est central au moment des constitutions de gouvernement et crises parlementaires.

Le choix de Bayrou : Macron en voie d’italianisation ?

Cette interprétation du rôle présidentiel qui se garde bien d’empiéter sur les prérogatives de l’exécutif peut certainement sembler contre-intuitive pour un cas français qui est marqué dans son cycle récent par l’hyper-présidentialisme. Elle représente cependant un paradigme intéressant qui permettrait d’assurer un modus vivendi praticable pour le second mandat d’Emmanuel Macron, lequel pourrait en endossant un rôle « à l’italienne » gérer l’absence d’une coalition parlementaire sortie des urnes.

Les conditions de nomination de François Bayrou à la tête du gouvernement français pourraient ainsi apparaître comme un paradigme énonciateur, avec un premier ministre qui aurait réussi à faire valoir l’équation politique dont il est potentiellement porteur face à un président de la République qui aurait été tenté d’accorder une forme de priorité à la fidélité partisane.


Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Professeur des Universités, directeur du master en relations franco-italiennes, Université Côte d’Azur, Chercheur associé à la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS, Paris), professeur et membre du CISS de l’université LUISS de Rome, Université Côte d’Azur

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