Depuis les terrasses du fort de la Bastille, on domine la ville de Grenoble.
On aperçoit le mont Blanc, tout le Grésivaudan, le Trièves au sud et les grands massifs qui entourent la ville. Un point de vue idéal pour des militaires qui voudraient assurer la protection de la ville. Et ce fut le cas.
Mais de qui voulaient-ils se protéger ? Ce fort a-t-il vraiment servi un jour ? Qu’y a-t-il à voir aujourd’hui ? Voici quelques questions auxquelles cet article de Nos Alpes tente de répondre.
La Bastille, un fort contre l’ennemi historique du Dauphiné
Grenoble devint rapidement une ville importante au Moyen-Âge. Tout a commencé lorsque les Comtes d’Albon décident vers l’an mil que Gratianopolis (l’ancien nom de Grenoble) allait devenir leur capitale. Petit à petit, le territoire s’agrandit vers le Briançonnais notamment, jusque dans le Piémont actuel aux portes d’Oulx, mais aussi vers l’Oisans, la Matheysine et le Grésivaudan. Dès le XIIème siècle ce territoire prit le nom de « Dauphiné ». Personne ne sait vraiment que vient faire un dauphin dans la région : le nom d’un saint ou d’un évêque (Delphinus), une origine de la ville de Delphes, ou une légende d’un dauphin qui aurait remonté le Rhône jusqu’à Vienne ? Nul ne le sait.
En revanche, ce que l’on sait, c’est que le suzerain de ces comtes, qui se définissaient comme Dauphins, était l’Empereur lui-même. Le chef de ce Saint Empire Romain Germanique attribuait le contrôle de ses anciens fiefs à des seigneurs locaux, par partition successive. Au moment même où les Comtes d’Albon prenaient de l’importance, les Comtes de Savoie en prenaient aussi et cela grâce au même Empereur. Il n’imaginait pas alors qu’il allait créer deux ennemis historiques qui allaient se chamailler pendant cinq siècles… Surtout à partir de 1349 lorsque le Dauphiné fut racheté et annexé au Royaume de France.
Cette année-là, Humbert II, dernier comte du Dauphiné vendit à Philippe VI, roi de France, ses terres. Celui-ci décida que les fils aînés des Rois de France en prendraient la charge, d’où le nom de « Dauphin de France », ou « Dauphin », qui leur fut attribué par la suite.
Grenoble ville frontière
C’est ainsi que la capitale du Dauphiné se retrouva à quelques kilomètres de la frontière avec les Etats de Savoie constitué en comté d’abord, ensuite duché, enfin Royaume Sarde… au fil du temps. Jusqu’en 1860, date de la cession de la Savoie à la France par le Roi de Sardaigne, cette fragile frontière fut le théâtre de nombreuses batailles, souvent pour défendre des territoires éloignés au Piémont, d’ailleurs, notamment les Guerres d’Italie du XVème siècle, mais aussi les batailles franco-savoyardes ou le passage des troupes napoléoniennes.
En réalité, la structure actuelle du fort est très récente. En effet, après la défaite de Napoléon, et le retour de la présence du Royaume de Sardaigne sur ses anciennes terres, à partir de 1815, Grenoble se retrouva à la frontière du Royaume de France. Louis XVIII décida alors de renforcer la protection des « villes frontière » et Grenoble bénéficia de travaux d’aménagements militaires pour assurer la sécurité de l’Etat.
Le commandant Tournandre fut le premier des commandants du Génie qui se chargèrent de rebâtir complètement le fort qui avait été construit à l’époque de Lesdiguières, deux siècles avant. On suivit les plans du général Haxo, réputé pour être le Vauban du XIXème siècle. On utilisa les carrières qui se situaient au-dessus de la Porte de France pour construire les murs, remparts, casemates, casernes et terrasses qui constituèrent le nouveau fort.
Seule la Maison Rabot, datant du XVème siècle fut gardée et fortifiée. Les travaux commencèrent en 1824. Déjà en 1830, trois étages du fort qui s’étalait à flanc de colline étaient construits. Une caserne et un magasin à poudre furent rajoutés entre 1836 et 1838. Le Fort Rabot, à l’intérieur de la citadelle, lui, fut achevé en 1847. Ce fut aussi la fin des travaux.
Le fort était opérationnel. Sur le flanc ouest, en aplomb du Mont Jalla, furent creusées des cavernes dans la falaise pour stocker des munitions et rajouter un système défensif de protection du fort lui-même. On les voit encore aujourd’hui, et elles sont connues sous le nom de grottes de Mandrin, même si le contrebandier n’y a jamais mis les pieds, étant mort bien avant.
La Bastille : un fort qui n’a jamais servi
L’originalité du fort est que ses batteries ne sont pas tournées vers la ville, mais vers la Chartreuse. En effet le système défensif dans la plaine était suffisant pour s’opposer à une attaque savoyarde provenant de la vallée de l’Isère. En revanche la ville n’était pas protégée d’une attaque provenant du massif de la Chartreuse qui domine la ville. Le Fort de la Bastille assurait donc cette protection.
Treize ans après la fin de la construction du fort de la Bastille, les territoires de la Savoie passaient sous domination française. La frontière s’éloignait définitivement vers la crête des Alpes, bien loin de Grenoble. Le fort ne servit jamais à des fins militaires ! Les casernes de la ville, elles, en revanche constituèrent une importante base arrière militaire de l’armée française au cours du siècle suivant avec de nombreux régiments qui se sont distingués pendant les guerres du XXème siècle.
Finalement, le nouveau fort de la Bastille, achevé en 1847, n’eut pas plus de rôle militaire que celui construit par Lesdiguières plus de deux siècles avant…
La Bastille de Lesdiguières
Si la Savoie resta profondément catholique et ne fut ébranlée par les guerres de religion du XVIème siècle qu’aux alentours de Genève et du lac Léman. Le Dauphiné, lui, fut le théâtre de nombreux affrontements entre protestants et catholiques.
François de Bonne, futur duc de Lesdiguières, chef des Protestants du Champsaur, une région de montagne sur les hauteurs de Gap se fit remarquer rapidement par la prise de Gap en 1576. En 1584, Henri IV lui donna la mission de pacifier le Dauphiné et de se battre contre les ligueurs catholiques soutenus par la Maison de Savoie pour reprendre le contrôle de ce territoire appartenant au Roi de France.
Ce n’est qu’en 1590 que Lesdiguières réussit enfin à prendre Grenoble. Avec 1200 hommes, il passa par la montagne et attaqua Grenoble par le haut, au niveau de la Maison Rabot. Depuis les pentes du Mont Rachais qui dominent Grenoble, ville sur laquelle il pointe sa pièce d’artillerie, il finit par soumettre la résistance catholique.
Dès 1591, lors de sa prise de contrôle officielle du Dauphiné, il construisit immédiatement une citadelle pour défendre son gouvernement d’une attaque savoyarde depuis la Chartreuse et pour observer au loin, vers le nord, les mouvements de troupes dans la plaine de l’Isère. Les travaux de sécurisation furent très longs. Ce n’est qu’en 1620 avec la construction de la Porte de France que l’ensemble des fortifications de la Bastille, comme celles des remparts de la ville furent complétées.
Connétable de France
Entre temps, Lesdiguières avait battu l’armée de la Maison de Savoie sur ses propres terres de nombreuses fois, ce qui lui valut des titres importants comme celui de Duc et de Maréchal de France. Paradoxalement, en 1622 il se convertit au catholicisme par raison d’Etat, et ainsi put être nommé « Connétable de France ». Une des plus importantes charges du Royaume. Il fut d’ailleurs le dernier à l’obtenir.
Finalement, même du temps de Lesdiguières, la citadelle de la Bastille ne fut jamais utilisée militairement. Heureusement pour les grenoblois, d’ailleurs… En effet, Vauban, au XVIIIème siècle se rendit sur place et s’amusa de l’inefficacité défensive de la citadelle de la Bastille. Malgré cela, ses plans pour construire un nouveau système défensif ne furent jamais approuvés faute de menace réelle. Au XVIIIème siècle la Maison de Savoie s’intéressait davantage à l’Italie qu’à ses terres d’origine en Savoie.
Et aujourd’hui, à quoi sert le Fort de la Bastille ?
Avec 600 000 visiteurs par an, c’est de loin, le site le plus visité de Grenoble. Certes sa position en altitude, 260 mètres au-dessus de la vieille ville rend l’accès pénible aux touristes, mais heureusement il y a le téléphérique de la Bastille.
Construit en 1934, il fut rénové plusieurs fois avant de transformer sa cabine en « bulles ». Celles-ci font le bonheur des photographes et des vendeurs de cartes postales de la ville depuis 1976. Aujourd’hui, le bulles de Grenoble transportent plus de 350 000 visiteurs par an au fort de la Bastille.
Là-haut, le premier site à visiter est la terrasse panoramique qui domine la ville de Grenoble. On peut s’amuser à reconnaître les principaux édifices de la ville. La Tour Perret construite pour une exposition universelle en 1925, au cœur du Parc Mistral (du nom du maire qui aménagea Grenoble dans les années 20 et approuva le projet de la télécabine), les trois tours emblématiques, les anciens édifices, l’ancienne place d’Armes (aujourd’hui place de Verdun) dont le rectangle se dessine au cœur de la ville, la courbe de l’Isère et les toits en tuiles rouges du quartier Saint Laurent au pied de la colline.
En face, les montagnes de la chaîne de Belledonne, la station de ski de Chamrousse, les montagnes de la Matheysine , et à droite, vers le sud le massif du Vercors. Enfin, le mont Blanc se détache au nord, dans le prolongement de la vallée de l’Isère. Rien que pour cette vue, le prix du ticket de la télécabine urbaine est largement amorti !
Le Musée des Troupes de Montagne, l’Acrobastille, le Centre d’art et … la descente en ville
Ensuite, on s’intéressera à l’aspect militaire. On peut parcourir les différentes voies qui parcourent le fort et qui relient le bastion central aux anciennes casernes. Elles sont devenues aujourd’hui des résidences étudiantes, des restaurants ou des sites de l’Université de Grenoble. Le Musée des Troupes de Montagne, juste à l’arrivée de la télécabine et le mémorial du Mont Jalla, à une vingtaine de minutes de marche sont deux sites attachés à l’héritage militaire du Fort de la Bastille.
Plus ludique, l’Acrobastille est un parcours d’aventures construit le long des murs du Fort de la Bastille.
La pause culturelle fait passer le visiteur par les voûtes des casemates pour admirer des œuvres d’art contemporaines au « Centre d’art Bastille ».
La descente vers la ville se fait à travers des sentiers ombragés et des escaliers en forte pente utilisés dans les deux sens par des trailers motivés qui vont trop vite pour profiter de la vue somptueuse sur Grenoble et ses montagnes.
De passage à Grenoble, il est impossible de ne pas s’immerger dans l’histoire locale racontée par le Fort de la Bastille. Promenade esthétique, rapide et ludique grâce aux « bulles », la montée au Fort est incontournable à Grenoble.
LIRE AUSSI : Cette civilisation de l’Egypte qui rayonna au pied des Alpes, de Grenoble à Turin