Sur un éperon rocheux, en Vallée d’Aoste, au-dessus de la route entre Aoste et Courmayeur, se trouve le Château de Saint-Pierre, avec la marmotte du Lyskamm.
Au cours des siècles, il a subi de nombreuses modifications. La plus récente et la plus importante lui a donné un aspect médiéval pour en faire un conte de fées.
Aujourd’hui, il offre un musée (à visiter) et une ancienne découverte momifiée : une marmotte de 6600 ans qui a émergé de la fonte des glaces du Lyskamm, à nos temps du changement climatique.
Un château de conte de fées, remanié mais avec son charme
Le château de Saint-Pierre se montre bien, perché, très visible de la route. Il semble être né avec le rocher, avec sa petite église et son clocher qui le côtoient, juste en dessous.
Les Valdôtains le remarquent à peine, ils connaissent sa raison d’être au XIXe siècle, celle d’une résidence de vacance pour les riches et les nobles de l’époque. Rien à voir avec l’austère et authentique château de Sarriod de la Tour, tout proche, presque caché, fermement médiéval, original, valdôtain. Qui est cependant trop froid en hiver, et aussi un peu étroit pour y organiser quoi que ce soit. Mais ne vous inquiétez pas, on va y arriver, tôt ou tard.
En attendant, ce rêve pittoresque d’enfance et de luxe, avec ses quatre tourelles, remplit sa fonction et abrite aujourd’hui un musée et une momie de marmotte bien digne d’intérêt.
Un des plus anciens
Le château, dans sa structure d’origine, est l’un des plus anciens de la Vallée d’Aoste. Il est mentionné dès 1191, dans la Charte des Franchises : les frères « de castro Sancti Petri » sont cités comme copropriétaires d’une partie de la structure. Qui, au fil des siècles, n’a cessé de se transformer.
Il a changé de style avec les Roncas, il est devenu élégant sous Pierre-Philibert, il a vu les seigneurs de Quart, de Savoie, et les Challant. Puis le temps le laissa dans un long silence, et quelque peu en décrépitude jusqu’à ce qu’en 1873, le baron Emanuele Bollati de Saint-Pierre, avec un évident esprit romantique, songe à lui donner une nouvelle âme.
Il l’achète et le confie à l’architecte Camillo Boggio. C’est ainsi que sont nées les tourelles du XIXe siècle, les profils un peu à la manière du château de Neuschwanstein en Autriche. Les intérieurs, là où il a été possible, sont conçus pour accueillir la lumière.
Le bâtiment que l’on visite aujourd’hui n’est donc que partiellement rénové à la mode neo-médiévale du XIX siècle, avec sa passion pour l’imaginaire, à l’époque du baron Bollati.
Le musée qui raconte la nature
En 1985, propriété de la Commune de Saint-Pierre, il fini par accueillir le Musée régional des sciences naturelles. Jusqu’alors, et depuis 1975, ceci était hébergé à Aoste, dans la petite église déconsacrée de Saint-Laurent, à côté de l’église de Saint-Ours, en tant que Musée historique Société de la Flore Valdôtaine.
Le musée était un bon projet et a été promu par le dynamique Pierre Noussan, une forte personnalité comme on en trouve souvent dans les villes alpines, par exemple à Martigny ou à Annecy. Noussan était responsable de la relance, à partir de 1971, de la Société de la Flore Valdôtaine, puis de la récupération et de la réouverture, en 1976, du Jardin Alpin Chanousia, au col du Petit-Saint-Bernard.
Noussan a disparu en 2001, mais le musée a servi de moteur pour la rénovation du château, sa restauration et sa mise en valeur. Il a rouvert fin 2022 : tous les étages et toutes les pièces ont été repensés pour accueillir des objets et des matériaux, et pour produire des expériences. C’est un lieu de compréhension du passé et du futur, avec la Vallée d’Aoste comme point de vue.
Le nouvel aménagement crée un dialogue entre l’histoire et l’environnement alpin, entre l’architecture et la biodiversité. On parcourt seize salles, sur trois niveaux, entre narration muséale et technologie.
Cheminées et blasons côtoient écrans tactiles, dioramas et réalité augmentée. Puis c’est un peu l’enchantement, on monte des escaliers raides, on passe dans des couloirs étroits – un peu valdôtains – on entre dans les salles de l’époque, que l’on comprend très bien.
La visite
La visite commence par la « Salle des armoiries », où l’histoire du château peut être lue parmi les emblèmes et les généalogies. On passe ensuite à la « Salle des différences », qui raconte la diversité du territoire alpin valdôtain : des vignobles de la basse vallée aux glaciers du mont Blanc, une sorte de voyage entre la vie agricole et le gel arctique, entre une sorte de Méditerranée alpine et le Pôle Nord.
La « Salle du temps » rappelle l’ancien musée de la Société de la Flore, avec ses expositions historiques et son mobilier d’époque. Les « salles des roches » et des « mines » permettent de comprendre les dimensions géologiques de la Vallée d’Aoste, y compris Cogne et ses nombreux minéraux.
La coopération avec le Château des Rubins
D’ailleurs, il y a quelques années, le musée avait développé un projet Interreg avec le Château des Rubins et le Centre de la Nature Montagnarde en Haute Savoie sur les « plus beaux paysages géologiques du Mont Blanc », dans lequel une partie de la restauration du bâtiment s’est également inscrite. Enfin, la « Salle des pentes » explique comment l’ombre et la lumière façonnent l’agriculture et les paysages, entre « adret et envers » les deux versants de la vallée principale de la Vallée d’Aoste.
Il y a ensuite les salles de la mémoire scientifique : celle dédiée aux Abbés Savants, les prêtres naturalistes valdôtains, et la « Salle Noussan », qui rappelle l’histoire du fondateur du musée, Efisio Noussan. Il est intéressant de les découvrir pour comprendre comment, dans les Alpes, dans la Vallée d’Aoste, mais aussi dans les petites villes suisses ou savoyardes, on étudiait et on collectait des objets et des connaissances. On y trouve l’Académie de Saint-Anselme, la Société de la Flore, les expériences de l’abbé Vescoz sur les arbres, mais aussi la curiosité du monde, avec des objets venus d’Afrique ou des Amériques.
Il est encore question d’eau et de forêts, d’animaux et de saisons, de glace et d’altitude. Les dernières salles – « du givre » et « des émotions » – sont consacrées au plaisir de la réflexion, à la culture, à la nature et à la beauté. Un musée un peu comme celui-ci, non seulement de connaissances et de sagesse, mais aussi d’expériences et de sensations.
La marmotte du Lyskamm, vieille de 6600 ans
Enfin, la voilà. Dans une vitrine hexagonale transparente, une marmotte recroquevillée en position fœtale. Elle est minuscule, âgée de plusieurs milliers d’années.
En 2022, Corrado Gaspard, guide de montagne valdôtain, l’a trouvée sur la face est du Lyskamm, dans le groupe du mont Rose, à 4 291 mètres d’altitude. Elle semblait endormie, comme le raconte Gaspard. La glace l’avait maintenu ainsi pendant 6 600 ans. Puis le changement climatique s’est fait sentir et il est apparu.
La datation au radiocarbone indique qu’il s’agit d’un artefact momifié très ancien. Il était là avant les villes, avant les écrits, mais plus ou moins à l’époque du site archéologique de Saint-Martin-de-Corléans, lui aussi vieux de 6000 ans. Son MégaMusée est également un must pour ceux qui arrivent à Aoste.
La glace l’a caché, le changement climatique l’a mis en lumière. Il se trouve maintenant dans une structure conçue pour durer 500 ans, un demi-millénaire, ce qui est peu par rapport à son âge. Acier, verre, cire à base d’hydrocarbures. Une technologie de précision pour sauver l’histoire et le patrimoine. Au final, on compte sur les progrès de la technologie dans les siècles à venir pour le préserver à jamais.
La connaissance et la découverte
Au château de Saint-Pierre, la marmotte Lyskamm a donné naissance à un projet, dont le nom anglais est Marmot Mummy Project. Coordonné par la région autonome Vallée d’Aoste, il réunit des experts de différentes disciplines : archéologie, génétique, climatologie, biologie, pédologie. L’EURAC Research de Bolzano, les universités de Turin et de Milan, l’Institut des sciences polaires du CNR, la Fondazione Montagna Sicura et la Surintendance des biens culturels y collaborent.
Le projet vise à collecter des données, à construire un savoir commun et à répondre à des questions qui n’ont pas encore été formulées. Chaque découverte ancienne est comme une archive, comme la momie d’Ötzi à Bolzano avec ses 5300 ans. Chaque corps préservé avec cette dimension temporelle est une grande opportunité pour de nouvelles études, une nouvelle curiosité, une nouvelle science.
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