Depuis son siège au Liechtenstein, la CIPRA – Commission internationale pour la protection des Alpes – a publié en ligne son rapport annuel 2024.

Le rapport souligne que l’espace alpin est un patrimoine naturel, culturel et humain inestimable. Sa protection nécessite, plus que jamais, une vision lucide, courageuse et partagée. Le document articule plusieurs questions et développe des perspectives, des risques et des solutions.

Qu’est-ce que la CIPRA ?

Fondée en 1952, la Commission Internationale pour la Protection des Alpes (CIPRA ) est une organisation non gouvernementale qui regroupe plus d’une centaine d’associations, d’institutions et d’organisations dans les sept pays de l’arc alpin. En 1983, elle a chargé l’UICN (Union mondiale pour la conservation de la nature) de rédiger un rapport sur les Alpes, qui présentait des signaux alarmants et a été à l’origine de la Convention alpine.

Aujourd’hui encore, elle participe en tant qu’observateur officiel aux conférences et groupes de travail sur les Alpes. Parmi ses fonctions opérationnelles, elle gère les secrétariats des réseaux « Ville des Alpes de l’Année » et « Via Alpina« .

Basée à Schaan, au Liechtenstein, la CIPRA poursuit aujourd’hui des activités distinctes et proactives, avec une indépendance claire et une influence significative dans divers cercles de décision et de recherche.

Les Alpes sont un bien commun

« Disposer d’un espace naturel d’une telle valeur au cœur de l’Europe est un privilège et une responsabilité », déclare Uwe Roth, président de la CIPRA, dans le document. Le paysage alpin n’est pas seulement une carte postale : c’est un espace vivant, qui amplifie les défis actuels, du changement climatique au dépeuplement des vallées, de la surexploitation touristique à l’érosion de la biodiversité.

Les objectifs clés du travail de la CIPRA concernent la compatibilité environnementale, car selon l’organisation, tout développement doit respecter les limites des écosystèmes de montagne. En outre, l’implication locale est un instrument central, car ce sont les communautés alpines qui sont les protagonistes du changement. Avec la justice climatique, les Alpes doivent devenir un laboratoire pour une transition juste. Des connaissances partagées, dans lesquelles la recherche scientifique, les connaissances traditionnelles et l’innovation doivent s’associer de manière constructive.

L’état de l’art

Les questions critiques soulignées dans le rapport 2024 concernent le réchauffement climatique, la pression touristique et la nécessité de politiques cohérentes et transfrontalières.

En effet, le réchauffement climatique dans les Alpes est deux fois plus rapide que la moyenne mondiale, ce qui menace les glaciers, les ressources en eau, les forêts et l’agriculture. La pression touristique est excessive dans certaines zones, tandis que d’autres zones risquent d’être abandonnées et de perdre leur présence humaine. Il est urgent de mettre en place des politiques transfrontalières cohérentes pour freiner le dépeuplement et favoriser la résilience locale.

L’engagement de la CIPRA prévoit des alliances entre les autorités locales, les jeunes, les chercheurs, les entrepreneurs et les institutions internationales, dans le but de construire un équilibre entre la nature, l’économie et la société qui garantisse une bonne qualité de vie dans les Alpes, pour les personnes et pour la nature.

La Cipra considère que trois points sont fondamentaux à cet égard. Premièrement, les espaces naturels intacts doivent être protégés de la construction de nouvelles installations de production d’énergie. Deuxièmement, il est nécessaire de changer de paradigme dans la gouvernance des Alpes, en appliquant le principe« éviter, transférer, améliorer » dans les décisions concernant le territoire et le paysage. Enfin, la CIPRA critique la gestion des Jeux olympiques de Milan-Cortina 2026, accusés de contredire les principes de durabilité et d’ignorer les besoins réels des communautés alpines.

Protection des espaces naturels intacts

Les Alpes, déjà fortement exploitées pour la production d’énergie, notamment par des centrales hydroélectriques, affirme la CIPRA, ne doivent pas être soumises à l’installation de nouvelles grandes centrales (photovoltaïques ou éoliennes) dans les derniers espaces naturels intacts.

En 2022, l’UE a adopté un règlement d’urgence et une directive pour accélérer les énergies renouvelables en réponse aux urgences énergétiques et climatiques en accélérant le développement de grandes centrales solaires et d’éoliennes, mais, en réponse à une demande formelle de vérification, l’UE a précisé que les protocoles de la Convention alpine ont la priorité sur les règlements et les directives en tant que traités internationaux.

La CIPRA recommande aux Etats membres que la transition énergétique alpine ne dévore pas les derniers espaces naturels, mais qu’une planification stricte soit mise en œuvre afin de concentrer les installations sur des zones déjà artificialisées, de valoriser les infrastructures existantes et d’éviter d’accroître la pression sur les vallées intactes et les paysages de montagne.

Pour les régions alpines et ceux qui les administrent – régions, municipalités, entreprises touristiques, citoyens – l’invitation est de favoriser une stratégie de décarbonisation intelligente qui combine la protection du paysage, la biodiversité et la nécessité de produire de l’énergie propre.

Un changement de paradigme dans la gouvernance alpine : éviter, transférer, améliorer

La CIPRA propose un changement de paradigme pour les politiques alpines, basé sur trois points clés : « éviter, transférer, améliorer ».

La CIPRA affirme que l’évitement devrait toujours être la première étape, car toutes les activités ne peuvent pas être conciliées avec la durabilité environnementale. Parfois, écrit-elle, le choix le plus clairvoyant est de ne pas agir, d’éviter les nouvelles infrastructures et de limiter la construction dans les zones fragiles sujettes aux risques naturels, d’éviter l’urbanisation diffuse et d’encourager la mobilité inutile, d’orienter les investissements publics vers des solutions circulaires et inclusives, de veiller à ce que les fonds européens financent des projets compatibles avec la protection de la biodiversité ou du paysage.

Lorsque l’évitement n’est pas possible, la relocalisation s’impose : déplacer les activités et les ressources dans des contextes moins impactants. Le tourisme hivernal, par exemple, devrait être déplacé des zones sensibles vers des zones déjà anthropisées ou mieux équipées, ou la logistique pourrait être déplacée de la route vers le rail.

Enfin, des améliorations sont toujours possibles : optimisation des processus, réduction de l’empreinte écologique des installations existantes, utilisation de technologies plus efficaces, amélioration de la gouvernance locale. Toutefois, souligne la CIPRA, les améliorations ne doivent pas remplacer les deux premières actions, mais les intégrer dans une stratégie cohérente.

Cette logique, déjà appliquée dans certains projets pilotes, a montré qu’il est possible de créer de la valeur économique locale sans nécessairement consommer du terrain ou attirer du trafic supplémentaire.

Un appel aux décideurs

La CIPRA appelle les gouvernements alpins, les autorités locales et les acteurs économiques à plus de cohérence dans les politiques publiques. Alors que d’un côté on promeut la neutralité climatique et la protection de l’environnement, de l’autre on continue à financer des routes, des stations de ski et des projets d’infrastructure qui vont dans la direction opposée.

Le défi des années à venir sera de traduire les intentions en lignes directrices opérationnelles pour la gouvernance foncière, en évaluant chaque projet et chaque investissement public selon une hiérarchie qui protège le patrimoine alpin. L’avenir des Alpes dépendra de plus en plus de la capacité à choisir avec prévoyance, à agir avec cohérence et à planifier avec responsabilité, en adoptant, dit-on, même des initiatives initialement impopulaires qui, avec le temps, deviendront non seulement écologiquement compatibles mais aussi appréciées.

Transparence des Jeux olympiques de Milan – Cortina 2026

Dans le rapport annuel 2024, Vanda Bonardo, présidente de la CIPRA Italie, souligne trois aspects négatifs dans la préparation des Jeux olympiques, en utilisant des expressions spécifiques :

En ce qui concerne les« coûts hors de contrôle« , elle note que les 343 millions de dépenses initialement prévues ont atteint, selon Confcommercio Milano, 1,6 milliard, auxquels il faudrait ajouter, selon certaines sources, 4,1 milliards pour les travaux connexes, loin des premières intentions qui parlaient de « Jeux à coût zéro ».

Pour« La durabilité en paroles« , il indique que les promesses de durabilité auraient laissé place au gigantisme, à l’agrandissement des pentes, à de nouveaux bassins d’enneigement et à des routes traversant des zones protégées Natura 2000.

En ce qui concerne l‘ »élitisation des territoires de montagne« , elle souligne que les Jeux olympiques augmenteraient le risque de rendre certains territoires de plus en plus élitistes et de moins en moins utilisables par la population locale.

En revanche, la CIPRA Italie a décidé de ne pas participer aux tables institutionnelles des Jeux de Milan-Cortina, ce qui confirme l’indépendance et la force de la position de l’organisation.

Le message de cette partie du rapport est aussi, en perspective, une invitation à la réflexion sur les Jeux d’hiver de 2030 dans les Alpes françaises.

Une alliance pour l’avenir des Alpes

Les conclusions du rapport ont été confiées à l’ancienne ministre autrichienne du climat, la verte Leonore Gewessler, avec une approche plus politique. Selon elle, « pour assurer l’avenir des Alpes, il est essentiel de souligner l’importance de la protection de l’environnement, de la nature et du climat pour la qualité de vie des gens. Nous avons besoin de politiques courageuses qui impliquent une citoyenneté active et des administrations conscientes.

Les Alpes, souligne l’ancien ministre, ne sont ni un musée ni un terrain de jeu, mais un écosystème vivant, une mosaïque de cultures, d’économies, de communautés et de paysages à préserver qui, avec de la volonté et de la cohésion, peut devenir un modèle de coexistence durable entre l’homme et la nature.

ForumFuture Alpes 2025, en commençant par l’eau

« H₂O: précieuse, puissante, rare » est le titre du forum que la CIPRA a également organisé à Schaan les 27 et 28 juin, confirmant ainsi l’activité continue de l’organisation. L’un des plus grands défis auxquels les Alpes sont confrontées concerne la gestion de l’eau.

C’est une question majeure qui suscite beaucoup d’attention, en cette année européenne des glaciers, à laquelle une réunion de la Convention alpine a encore été consacrée le 24 juin à Grenoble, sur les risques d’excès ou de sécheresse.

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