Nos Alpes à la Découverte nous emmène dans les trois anciennes provinces du Chablais, du Faucigny et du Genevois qui, au XVIè, XVIIe et XVIIIe siècles formaient la partie nord-ouest du Duché de Savoie, devenu Royaume de Sardaigne en 1718.

Nous republions, avec aimable autorisation, en effets des extraits du très beau livret Vivre en Savoie du Nord – XVIe-XVIIIe siècles, F. Meyer, H. Maurin et J. Coppier, publié par les Archives départementales de la Haute-Savoie en mai 2021. C’est une belle lecture, parce qu’on y retrouve des éléments d’autres lieux des Alpes : les écoles de montagne qui assuraient une instruction aux enfants, la vie communautaire, le moment de bascule des conflits de réligion au XVIIè siècle.

Le village du nord de la Savoie

Dès le Moyen Âge, les habitants d’une même paroisse(communier) s’assemblent en communauté pour gérer des biens et désignent des délégués chargés de les représenter auprès des autorités. À partir du XVIᵉ siècle, la création d’un impôt régulier amène ces communautés d’habitants à gérer des questions fiscales mais aussi l’ensemble des problèmes de la paroisse.

L’édit de péréquation du 15 septembre 1738 harmonise le statut des communes en donnant à chaque ville, bourg ou paroisse des attributions (police, répartition et perception des impôts, usage et entretien des biens communaux) et des règles de fonctionnement identiques (élection des syndics, réunions du conseil, tenue du budget et des comptes). Même si certaines communes tiennent des registres de délibérations depuis plusieurs dizaines d’années, comme à Sallanches depuis 1593, de nombreuses collections démarrent en 1738, à l’instar de Domancy, Lathuile, Maxilly, Pringy ou encore ici à Morzine.

L’édit de péréquation

L’édit de péréquation a été publié le 16 novembre, et le châtelain Joseph Tavernier convoque l’assemblée des communiers le 9 décembre 1738 à 10h, au son de la cloche.

Une première réunion prévue le 17 novembre avait avorté en raison de l’absence des deux tiers des communiers, émigrés saisonniers, absents de la paroisse  » pour trafiquer et negocier « .

Dans son procès-verbal, le châtelain dresse la liste nominative de tous les communiers présents (chefs de famille propriétaires de biens sur la paroisse).
Les absents  » sans legitimes empêchements  » devront s’acquitter d’une amende de cinq écus d’or. Après lecture et explication de l’édit de péréquation par le châtelain, les communiers procèdent à l’élection de leurs quatre conseillers et du syndic de la paroisse, à savoir Jean, fils de feu Jean Berger, pour être  » les plus capables et mieux servir la communauté « .

Tout le monde signe de son nom ou d’une marque  » pour ne pas scavoir écrire  » à la fin du procès-verbal.

Domancy – extrait de la maps – 1728-1738 (c) Archives départementales de la Haute-Savoie 1 C D 189/

La paroisse

Entre 1533 et 1535, Genève bascule toute entière dans la Réforme protestante. Le prince-évêque de Genève s’enfuit à l’été 1533 pour ne pas revenir. Au cours des décennies suivantes, il installe à Annecy le siège du diocèse de Genève, qui conserve cette appellation jusqu’à la Révolution. L’intégrité du diocèse est également menacée lors de l’occupation du Chablais par les Bernois, qui introduisent la Réforme au sud du lac Léman.

Ayant perdu plus de 100 paroisses, les évêques successifs s’efforcent de reconquérir les territoires passés à la Réforme tout en œuvre les principes de la Réforme catholique décrétés au concile de Trente. Ils s’attaquent à améliorer la formation des prêtres, à favoriser l’implantation des ordres religieux nouveaux et à œuvrer pour l’enseignement des enfants et la catéchèse. La prédication tient une grande place dans cette démarche de restauration de la foi catholique, à l’image de l’action de François de Sales en Chablais entre 1594 et 1598. La Réforme catholique concerne aussi l’architecture et la décoration des églises, à l’occasion d’un grand mouvement de reconstruction qui touche surtout le Haut-Faucigny et le massif de Thônes entre 1650 et 1725.

Ces mesures sont notamment mises en œuvre lors des visites pastorales, effectuées régulièrement pendant toute la période : l’évêque Jean d’Arenthon d’Alex à lui seul visite quatre fois toutes les paroisses de son diocèse.

Les conditions matérielles du culte

Les procès-verbaux des visites pastorales décrivent précisément les conditions matérielles du culte : revenus de la cure, état des bâtiments, travaux à entreprendre, ornements à acquérir. Le 15 octobre 1607, François de Sales visite la paroisse de Thônes, qui rassemble  » sept cens cinquante feus, dont les deux tiers sont miserables  » (4 500 âmes). Un  » mangilier « , rémunéré par la paroisse, est chargé de l’entretien de l’église. Il est enjoint aux syndics et paroissiens de faire réaliser certains travaux :  » reparer les vitres à l’endroit du grand autel, (…) le couvert de la nef, de la sacristie « , faire  » plastir, blanchir la nef, et des fenestres pour icelles alumier, avec les vitres « .

Saint François de Sales (1567-1622)
(c) Domaine public Wikimedia Commons

Des recommandations sont données quant aux comportements : les paroissiens doivent assister aux offices, participer aux célébrations, assister aux prédications, ne pas tenir boutique, ni jouer, ni tenir marché dans le cimetière, ni se promener sous les halles ni  » demeurer aux tavernes  » les dimanches et jours de fête, sous peine d’une amende de dix livres et d’une menace d’excommunication.
Les mêmes jours, il est également interdit aux syndics, à la communauté comme au châtelain de s’assembler.

La « boyte de touttes ames

La  » boyte de touttes ames  » est alimentée par les quêtes et sert pour la célébration des messes pour les défunts mais aussi pour les réparations de l’église.
Les paroissiens comme le curé entendent avoir la main sur ce budget et sur la manière de le dépenser. Un compromis a été trouvé. L’argent est enfermé dans un coffre à trois clefs qui permet une gestion collégiale : une clef pour le curé, une pour les procureurs élus par la communauté d’habitants, une pour les syndics de Thônes.

Un siècle plus tard, c’est Michel-Gabriel Rossillon de Bernex qui visite à son tour la paroisse, du 25 au 27 août 1714. Il parcourt l’église Saint-Maurice et contrôle  » ensemble le Saint Sacrement, les Saintes huiles, les reliques, les fonds baptismaux, les registres, le cemetière et le presbitere « .

Depuis la visite de François de Sales, une nouvelle église et un nouveau clocher ont été  » batis nouvellement par les fondemens par les scindicqs, bourgeois et parroissiens dudit lieu dans un temps de misere et de calamités, ce qui est une preuve de leur pieté et du zele qu’ils ont eu pour le restablissement de leur esglise que Monseigneur a trouvé fort propre et en bon estat « . Rossillon de Bernex consacre le 26 août le maître-autel et sept chapelles sur les huit que compte l’église. Pour cette construction, les syndics de Thônes ont fait appel à un maître maçon milanais, Pierre Chiesa. Les travaux se poursuivent jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, comme le montre la quittance du doreur pour le retable, datée de 1742.

Thônes, le retable dans l’église Saint Maurice
(c) CC BY SA 3_0 Mossot Wikimedia Commons

Les petites écoles

Au XVIIᵉ siècle et surtout au XVIIIᵉ siècle, la création de  » petites écoles  » dans les paroisses rurales est encouragée par l’Église, pour développer la catéchèse et lutter contre le protestantisme.

En montagne, elles fonctionnent pendant le long hiver, et les habitants sont ainsi plus alphabétisés que ceux des plaines.

À Chêne, en 1775, la demande d’un régent est soutenue par les arguments suivants : par manque d’un maître d’école à Chêne, lieu frontière du territoire de Genève, les jeunes gens fréquenteraient l’école des protestants ; de plus, le curé et le vicaire pourraient à peine suffire à la desserte spirituelle de la paroisse en raison de l’augmentation de la population depuis la construction de la nouvelle église. Le roi, sensible à ces arguments, écrit à l’évêque pour lui demander d’établir un troisième prêtre avec charge d’enseigner.

Les communautés d’habitants acceptent de trouver un local et de recruter et rémunérer un maître, appelé régent, qui est souvent un ecclésiastique. Le 9 mars 1722, Joseph Duboin, marchand émigré à Augsbourg, s’engage à donner mille écus au doyen et au chapitre de la collégiale de Samoëns, soit 6 000 florins de Savoie, pour établir une école et entretenir un régent. Les syndics contribuent en donnant la maison de ville pour y tenir l’école.

Une alphabétisation massive

Ces petites écoles permettent une alphabétisation massive des enfants et les mettent au contact de l’écrit.

À Samoëns, tous les enfants du lieu et même les étrangers y seront admis pour apprendre les  » bonnes lettres  » (lecture, grammaire, composition latine pour les plus avancés), deux heures le matin, deux heures l’après-midi, avec messe et catéchèse entre les deux leçons.

Dans chaque école, un règlement détermine en effet très précisément le calendrier scolaire, les horaires de la classe et du catéchisme, les messes et prières, le contenu des enseignements, les récompenses et les punitions et jusqu’à la façon de se mettre en rang.

À Chêne, chacun apprend à lire les livres imprimés et les écritures manuscrites, à écrire et à compter. Les plus avancés étudient la grammaire et le plain chant.

À Évian, les jeunes filles qui ne sont pas en train de réciter leur leçon doivent poursuivre avec assiduité un travail de dentelle ou de tricot, qui est vérifié en fin de séance.

Archives départementales de la Haute Savoie (C) CC BY SA Wikimedia Commons

Crédits

Tiré de Vivre en Savoie du Nord – XVIe-XVIIIe siècles, F. Meyer, H. Maurin et J. Coppier, publié par les Archives départementales de la Haute-Savoie en mai 2021, avec aimable autorisation. Vous le trouverez à ce lien. Nous avons ajouté des titres de paragraphes(L’édit de péréquation, Les conditions matérielles du culte, La  » boyte de touttes ames, Une alphabétisation massive) pour faciliter la recherche sur Internet (SEO). Avec le même titre, les Archives ont produit une exposition itinérante.

Les Archives départementales de la Haute-Savoie, avec la conservation des documents, animent aussi des ateliers, proposent des bourses d’études, apportent un soutien à la gestion des archives, participent à différentes manifestations, comme les Journées européennes du patrimoine, la Fête de la Science, ou le Festival des empreintes sonores.

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