Une note de Michel Moriceau sur un livre qui parle de glaciers, Les sources de la glace, par Nastassja Martin et Olivier de Sépibus (Paulsen 2025): un thème qui revient souvent, ces derniers mois
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Ce qui était neige et silence a été réduit à l’état de poussière dans un imprévisible fracas de séracs et de pierres. Le soleil a fait son œuvre, aidé en cela par l’activité humaine et la pollution de l’air. Les rochers, privés de leur ciment de glace, s’effritent et se répandent ; l’eau des glaciers dévale dans les vallées, charriant au hasard des blocs incontrôlables. La montagne se dénude.
Autrefois, le peintre interprétait le sublime que contemplait un voyageur dressé devant une mer de nuages. Le photographe fixe aujourd’hui le réel : des amas de pierres figées sur des sols arides.
Un siècle et la modernité s’est emballée. Le climat se réchauffe, les glaciers « se volatilisent ». La montagne a été défigurée en un parc d’attraction développé sans mesure ni limite. Elle a été sacrifiée sur l’autel des « pulsions inutiles » d’une civilisation amnésique de son histoire, qui paie son arrogance et atteint le tragique à force d’idéaliser le progrès et de ne pas changer ses habitudes.
L’humanité a couru vers son risque, voulant produire et faire de la montagne au lieu d’y être, d’y vivre avec humilité et précaution. Le constat est implacable : le paysage est détruit, l’écologie infestée par la rationalité d’une économie insatiable. L’effet de serre met le feu à la Terre. L’imaginaire de pureté est anéanti.
La montagne n’est plus le refuge des hommes en quête de respiration. Les neiges ne sont plus éternelles. Les hauts lieux s’abandonnent aux moraines. Une dynamique de transformation du paysage est engagée, et la perspective d’une « décarbonation » des modes de vie, d’une protection des glaciers, relève d’une illusion tant les objectifs de croissance demeurent inéluctables.
Il est urgent de « dessiler », d’oser regarder le spectacle d’un environnement momifié. Il est utile de se souvenir, de prendre soin d’un héritage dénaturé.
Sous la plume de Nastassja Martin et les captures d’Olivier de Sépibus, les mots et les images entrent en résonance pour illustrer la métamorphose d’un monde qui leur est cher et raisonner sur sa fragilité et son avenir.
Tous deux témoignent. Ils scrutent, ils écoutent, ils décrivent les mouvements de territoires déstabilisés où se perdent peu à peu les traces de la « mémoire glaciaire ».
Martin, l’anthropologue, remonte aux sources, rappelle les grands cycles de l’histoire du climat et s’alarme de la fonte des glaces, qui signe la perte des archives de l’atmosphère : une bibliothèque de 800 000 ans est détruite sous nos yeux, et l’humanité doit continuer à respirer sans rogner sur ses zones de confort.
Sépibus, photographe et poète, a vu s’en aller les glaciers de son enfance. Un choc affectif, une révélation spirituelle l’amenant à donner du sens au chaos, à partager ses émotions par une esthétique du dépouillement où se conjuguent les reliefs et les formes, où s’harmonisent le sépia et le blanc cassé, où se fondent, sur les versants dévastés, toutes les nuances du gris qui s’étirent en stries pathétiques.
Sous le signe de la rhétorique et de la métaphysique du beau émanant des vestiges, Nastassja Martin et Olivier de Sépibus délivrent un message étonnant, dépassant toutes les déplorations faciles. Fascinés par ces images de désolation bouleversant leurs repères, ils éclairent leur témoignage à la lumière des poèmes de René Char, dans l’espérance d’un « retour-amont », d’un « retour aux sources », l’une des grandes illusions de l’homme en regret.
LES SOURCES DE GLACE – NASTASSJA MARTIN – OLIVIER DE SÉPIBUS – ÉDITIONS PAULSEN – 2025
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