Calepin de la rencontre internationale qui se déroule en Vallée d’Aoste du 18 au 20 décembre, organisée par la revue Le Grand Continent
Les notes pour la journée du 18 octobre sont ici
Narratives, biens communs, culture européenne
(18.30) Un atelier à la fin de la deuxième journée a abordé le thème de la culture européenne. La discussion a été variée, considérant par exemple les conditions économiques, par couches sociales et diversité territoriale, comme la base sur laquelle les gens construisent des cultures et des récits, ou le financement national de la culture (le pays qui dépense le plus est la Hongrie – 3% du PIB, l’Estonie vient en deuxième position avec 2,2%), comme l’a mentionné Giuliano da Empoli. Pour sa part, Lea Ypi, de la London School of Economics et Albanaise, a relevé la difficulté, dans une Europe ouverte, de parler d’un « agenda stratégique pour la culture », qui fait penser à un cadrage et qui, pour les gens de l’Est, génère inévitablement une réflexion sur le passé soviétique.
Empoli rappelle que Roosevelt lui-même a lancé des programmes sur la culture, à la fois comme composante du bien-être et comme outil de développement. Les « valeurs européennes », l’approche constructive, la dimension critique et analytique ont été évoquées. Selon Léa Ypi, la capacité d’analyse et de critique est un élément fort de la culture européenne au niveau mondial. L’appartenance à une « culture » tend à la norme, une politique culturelle devrait plutôt stimuler la capacité de croissance et de développement, de critique et d’innovation.
Gabriela Ramos (Unesco) a rappelé son point de vue d’extra-européenne, au regard de ses origines mexicaines. Elle a ensuite souligné que certaines politiques ont un récit politiquement orienté. Par exemple, au Mexique, il y a eu une époque où il fallait construire une identité nationale, et des moyens ont été mis en place pour une politique culturelle dans ce sens. Il y a aussi d’autres points de vue sur le sujet : le numérique et les changements sociaux qui en découlent, et l’attitude constructive et positive qui est nécessaire pour y faire face.
Lea Ypi a fait remarquer que plus la culture européenne est présentée de manière positive, même en interne, plus les réactions sont nombreuses à l’extérieur, avec de véritables attaques de « valeurs » contre le récit européen. On le voit dans les médias sociaux, mais aussi dans les expressions politiques ou la littérature. Il faut une construction solide, capable de se défendre : Lea Ypi vit à Londres et a apporté comme exemple précisément ce qu’elle voit dans l’expression culturelle autour d’elle par rapport à l’Union européenne, malgré l’échec relatif du Brexit.
Gabriela Ramos a également souligné la lecture positive en dehors de l’Europe et sur les valeurs européennes, par exemple une dimension plus » humaine » et moins » capitaliste » par rapport aux États-Unis.
Cependant, les valeurs sont universelles, il y a eu une convergence entre les intervenants. Il n’y a pas d’exclusivité européenne, mais il y a un nombre croissant d’endroits dans le monde où ces valeurs sont attaquées, et elles doivent être protégées, selon da Empoli.
Le débat a été coordonné par Jeremy Cliffe de l’Open Society Foundations.
pour approfondir,
Giuliano da Empoli, Sept idées pour un plan de relance culturel de l’Union, GEG, 2 juillet 2020
Intelligence artificielle: impacts économiques et sociaux
(14 h 10) L’idée de mettre en place un panel dédié aux impacts de l’IA doit également s’inscrire dans la démarche générale du Grand Continent. Il s’agit de donner la parole à ceux qui la connaissent, parce qu’ils y travaillent, et qui ont des points de vue différents ou complémentaires, par métier ou par formation. Ainsi, Brando Benifei, chef de groupe PD au Parlement européen et surtout co-rapporteur de l’Artificial Intelligence Act, a pu être entendu : la décision européenne est une première mondiale, une initiative européenne qui pose les premiers jalons d’une régulation de l’IA. Il y a cependant des limites, car les marges législatives et de mise en œuvre sont circonscrites. Les impacts sont certainement sociaux : à la fois dans les transformations de l’emploi, qui sont compliquées mais gérables, et dans la répartition des revenus. La transition numérique doit être gérée car elle est porteuse de solutions et de richesses, mais il faut éviter les impacts sur certains segments de la population, y compris territoriaux. Nous avons donc besoin, là aussi (comme pour le changement climatique), de politiques publiques d’adaptation. De plus, nous sommes à l’heure du populisme, et ce sont autant d’arguments qui peuvent l’alimenter.
Les impacts, tant positifs que négatifs, sont européens mais surtout mondiaux, avec des effets géopolitiques évidents, même pour l’Europe, par exemple vis-à-vis de la Chine et des grands acteurs qui y travaillent. Il y a des éléments centraux pour l’Europe : les droits de l’individu (y compris la confidentialité des données personnelles, par exemple avec la surveillance et la reconnaissance faciale), le risque d’un renforcement de la désinformation (on peut imiter des photos, des voix, des personnes), la concurrence mondiale sur l’innovation par rapport à la régulation de l’IA (la législation européenne peut-elle être un frein ?), la redistribution de la richesse générée par l’IA, son application équitable à différents niveaux de production et de société.
Outre Brando Benifei, Anne Bouverot (présidente de l’École normale supérieure et coprésidente du comité français sur l’IA générative), Anu Bradford de la Columbia Law School, Marc Faddoul, directeur d’AI Forensis, et Gabriela Ramos, sous-directrice générale pour les sciences humaines et sociales à l’UNESCO, ont participé à la table ronde.
Comment financer une transition (climatique) équitable ?
(12h09) Le thème de la durabilité de la transition climatique, notamment sous l’angle de l’équité, est abordé dans le deuxième panel de la matinée. Il y en a d’autres en parallèle : un sur l’Europe dans le nouvel ordre énergétique mondial et un (à huis clos) sur le Traité de Quirinal.
L’atelier, modéré par Adrien Zakhartchouk, correspondant du Grand Continent, a réuni plusieurs grands témoins du système financier qui observent la relation entre la transition climatique et le capital. La question n’est pas secondaire et Le Grand Continent a fait un choix clair et transparent en portant le sujet à l’ordre du jour de la réunion internationale. La circulation et l’orientation des capitaux ont un effet concret sur la capacité à agir sur le changement climatique, comme on l’a déjà vu lors de la réunion d’hier sur le green deal européen, en particulier sur les investissements des banques publiques de développement.
Jean-Pisani Ferry (Sciences Po) a souligné que le problème du capital est d’une part politique et d’autre part lié aux différents niveaux de population, qui peuvent être affectés négativement par les transformations vertes, même avec des politiques locales, par exemple simplement la distribution des centrales éoliennes. Selon l’atelier, les coûts d’investissement peuvent également être plus élevés si des dommages sociaux ou matériels dus à un manque d’adaptation au changement climatique doivent être pris en compte.
Dans un souci d’équité, une taxation spécifique doit être imaginée, non seulement pour la « structure » individuelle, mais aussi pour les niveaux les mieux dotés sur le plan économique. Il faut également réfléchir à la manière dont une infrastructure est financée, par exemple sur l’utilisation ou la taxation générale, ou encore sur les bénéfices. Stéphane Boujnah (PDG d’Euronext) a indiqué que la croissance des investissements verts (fonds ESG) se chiffrait en dizaines de milliards d’euros. Les flux ne sont cependant pas neutres et il y a beaucoup de travail à faire pour les suivre, faciliter leur impact et éviter les gaspillages et les dérives. Un argument également repris par Gregor Semieniuk de la Banque mondiale.
Charles Weymuller (chef économiste chez EDF) a souligné que nous devons penser à la fois de manière centralisée et décentralisée. Le mix énergétique nécessite une approche politique et financière à plusieurs niveaux : il a impliqué la question de la durabilité économique, de l’État belge pour les investissements stratégiques et de relance, il a mentionné comment, dans les nombreux projets en cours, il y a un travail important sur la transition climatique, consistant en 20 millions de NextGenEU, 5 millions du gouvernement fédéral et 10 millions d’investissements privés.
Il est apparu que la déconnexion entre la complexité du problème à gérer avec le changement climatique – qui reste un problème grave, comme « s’écraser contre un mur » – l’information du public et la compréhension des processus en cours, y compris les déchets, les réactions populaires et les mouvements populistes, doit être gérée.
Lors de l’atelier le rapport coordonné par Jean-Pisani Ferry sur l’impact économique des politiques climatiques a été évoqué. Pour en savoir plus :
Les incidences économiques de l’action pour le climat
Le Green Deal et l’Europe globale
(10h40) Le premier atelier de la matinée était consacré au Green Deal au niveau mondial. L’Europe a été la première à s’engager dans le Green Deal, mais elle est maintenant rejointe par les Etats-Unis. Le directeur d’Airbus, Guillaume Faury, a noté qu’en ce qui concerne les carburants alternatifs, ils ont dépassé et doublé la production par rapport à la production européenne.
Il y a une concurrence positive entre les deux zones de l’Atlantique, mais les menaces sont claires. L’impact du changement génère des perdants et des gagnants, a déclaré Jean-Yves Dormagen, professeur à Montpellier, par exemple, nous avons besoin d’une impulsion plus forte en matière d’investissements climatiques, les centres de recherche peuvent apporter beaucoup, nous devons également repenser des systèmes de taxation durables mais capables de soutenir le processus de changement, avec des choix politiques, ce qui nécessite des collaborations internationales et européennes.
Jennifer Harris, du Council for Foreign Relations, s’est longuement attardée sur les relations entre l’Europe et les États-Unis, indiquant qu’il existe une relation directe entre les investissements et la géopolitique, et que chaque action économique a un effet sur la politique étrangère. Et cela vaut aussi pour l’Europe.
pour en savoir plus avec Jennifer Harris