Dès le début, au téléphone, Simona Marra est un fleuve de mots. Je l’ai appelée pour lui demander d’Ivrée et d’Adriano Olivetti, l’un des sites UNESCO du territoire de Nos Alpes dont nous voulons parler. Inévitablement, la conversation glisse au Carnaval historique d’Ivrée. Il ya pas mal de carnavals importants dans nos Alpes, de Nice à Annecy, mais aujourd’hui la scène est à Ivrea.
La ville et ses habitants ont le sens de la liberté qui coule dans leurs veines. Ceux qui connaissent plus ou moins notre Carnaval ont à l’esprit la bataille sur la piazza, et que l’événement se résume à des tirs d’oranges.
En réalité, chaque geste a une signification. L’orange représente la tête du tyran, le chapeau rappelle la Révolution française, la chanson est un hymne à la liberté. Il y a aussi le respect des chevaux qui ne sont pas touchés même par accident, avec un sens de responsabilité envers les hommes et les animaux.
> Il y a une semaine j’étais à Ivrée pour une rencontre de travail, et la ville était déjà très animée. En me garant dans un parking du centre, j’ai vu deux personnes sortir d’une voiture en costumes napoléoniens, et ce n’était pas encore la semaine du Carnaval...
Depuis le 6 janvier de chaque année, Ivrée attend et prépare le Carnaval. Tout un monde bouge : les équipes de cavaliers, les artistes, les chars peints. Il y a les protagonistes qui préparent leurs costumes, comme presque toute la ville. Il y a les artisans qui fabriquent les masques utilisés sur les chars. Ce sont d’ailleurs des savoirs faire importants : ce sont les mêmes personnes qui réalisent les harnais des carrosses royaux dans le monde entier.
POUR EN SAVOIR PLUS : Nos Alpes à la découverte… du Carnaval historique d’Ivrea
> La ville était déjà couverte de drapeaux, d’affiches et de symboles
Il ne s’agit pas d’un festival folklorique, mais d’un événement d’une communauté, d’un événement de peuple. Les habitants d’Ivrée partagent l’idée d’être des rebelles et ils ont un sens aigu de la communauté, qui s’exprime dans le Carnaval et a été sublimé dans l’usine communautaire d’Adriano Olivetti. Il y a une base historique à cela : Ivrée est née sur un point de contrôle de l’eau, dans le passage le plus étroit, dès le conflit celtique entre la moraine d’Ivrea et du Biellese et le territoire de Verceil, ensuite avec l’implication directe de Rome. À l’époque médiévale, ils avaient lieu entre les châtelains et le peuple, représenté par la Mugnaia (la Munière), ou entre le roi Arduino et les évêques.
> Même la carte mère open source « Arduino » est née à Ivrée, ce n’est donc pas un hasard
Il s’agit toujours d’un produit de la communauté et de liberté, d’amis qui ont développé un projet et l’ont diffusé. Ce sont des arguments qui reviennent et que la Mugnaia symbolise. Ivrée se réunit autour de la Mugnaia et certains moments du Carnaval sont vraiment à vivre, on ne comprend pas si vous n’y participez pas.
> Par exemple, avec les feux rituels
Il faut venir voir, un mardi soir, le silence et la force de la communauté citoyenne lorsqu’elle se rassemble pour l’embrasement des « Scarli » (poteaux recouverts de bruyère sèche et surmontés d’un tricolore). Après avoir traversé les différents quartiers, le cortège, avec les habitants en costumes traditionnels, se dirige vers le « Scarlo » du Castellazzo. Il est situé près du pont principal, au niveau de la maîtrise historique de l’eau, à l’endroit où se trouvait le château. Pendant que le « Scarlo » brûle, le Général, en costume napoléonien, doit tenir le cheval à l’arrêt et la Meunière qui le monte tient son épée en l’air jusqu’à ce que le « Scarlo » ait fini de brûler.
C’est un moment émouvant, les gens applaudissent la meunière. Il y a aussi des moments de silence et de recueillement, des moments où l’on entend les chants, les fifres, il faut voir les « funérailles » et la course du cortège de la piazza Ottinetti à l’Hôtel de Ville. Il faut venir voir, pour comprendre.
> La Meunière est une femme, et c’est elle la protagoniste
C’est elle qui a coupé la tête du tyran ; la chanson dit que le château n’est plus, et qu’avec le tyran, l’oppression a également disparu. La « Mugnaia Violetta » représente la rébellion populaire et la communauté, et c’est une personne forte. Tout au long de l’année, elle entre dans les écoles pour transmettre le même message sur le rôle de la femme. Il existe d’ailleurs l’association Violetta – la force des femmes, qui travaille également sur le respect des genres.
> Et que faites-vous pendant le Carnaval historique d’Ivrée ?
Mon job, c’est d’expliquer aux visiteurs le Canavese et le site UNESCO d’Adriano Olivetti, mais je suis aussi active au Musée du Carnaval historique d’Ivrée, qu’il faut absolument visiter. Je fais partie des personnes qui participent au Carnaval et qui l’aiment, qui se sentent chez eux.