Lorsqu’on regarde le blason de la ville de Saint-Jean-de-Maurienne on découvre ces fameux trois doigts. Le pouce l’index et le majeur relevés, les deux autres doigts reliés dans un geste universellement reconnu comme porteur de la bénédiction dans la tradition chrétienne. Ce sont ces trois doigts qui ont fait la fortune de Saint-Jean-de-Maurienne au cours de l’histoire.

Un évêché puissant bâti sur la présence de reliques

Nous sommes au VIème siècle. Deux soeurs de Valloire, petit village de montagne en Maurienne, apprennent qu’en Egypte, les reliques d’un saint semblent apporter guérison et santé à tous ceux qui viennent les vénérer. Une des deux sœurs, Tygris, d’après la légende, entreprend alors un long voyage jusqu’à Ostie pour s’embarquer vers l’Egypte. Selon la légende, le mythe ou l’Histoire, elle serait revenue, quelques années plus tard, avec des reliques de ce saint. Et ce saint n’est pas n’importe qui, il s’agit de Saint Jean Baptiste, celui qui a baptisé Jésus Christ dans le Jourdain, en lui posant le pouce, l’index et le majeur sur le front.

Thècle rapporte en Maurienne, justement ces trois doigts

Ceux-ci sont rapportés au village de « Maurienne », qui était un « vicus », un petit village ceint et protégé par des remparts. Une église fut construite et Thècle, nouveau nom de Tygris se retira en ermite dans une grotte, connue ensuite comme Grotte de Saint Thècle. Le roi Gontran, un roi burgonde qui dominait les terres de la vallée de la Maurienne obtint de transformer l’église en cathédrale et la ville en diocèse en 579, avec la nomination d’un premier évêque.   Au Moyen-Âge, une église qui possède des reliques est un lieu qui attire du monde, qui fait prospérer la région où elle se situe et donne su pouvoir à l’autorité religieuse locale.

C’est ainsi que la Maurienne devint prospère et se transforma lentement en un petit Etat dirigé par un évêque. Dans son ombre, des seigneurs s’installèrent pour administrer les terres. Les futurs Humbertiens, dont il sera question dans le chapitre suivant.

L’origine du nom de la ville, Saint Jean, est maintenant clair pour le lecteur. Mais d’où vient le nom de Maurienne ?

L’origine

L’origine est incertaine. D’un certain romain du nom de Maurus (Maurus+genna, fils de Maurus) ? Du consul Marius, qui après avoir défait la tribu gauloise des Cimbres, ouvrit une voie appelée Via Mauriana ? Des caprices de la rivière, l’Arc, qui déborde souvent et qui a la mauvaise réputation d’un « mauvais fleuve », « malus rivus » contracté en « mau riou » ? Plus tard on dira aussi que les Sarrasins, les Maures, donc, s’étant établi dans la vallée, lui ont donné le nom, mais semble-t-il, ce nom existait déjà avant.

Dans tous les cas, à la fin du premier millénaire, la vallée de la Maurienne, lieu de passage à travers les Alpes vers l’Italie, et centre religieux abritant d’importantes reliques revêt un rôle très important, à la fois militaire et spirituel.

C’est dans ce contexte d’affrontement ou de cohabitation, selon les périodes, entre un pouvoir religieux bien implanté et une famille noble en pleine expansion territoriale, que la dynastie des Humbertiens s’implante et rayonne à partir de la Maurienne.

Le tombeau d’Humbert aux Blanches Mains à Saint Jean de Maurienne

Le Cénotaphe de Humbert aux Blanches mains Aà Saint-Jean-de-Maurienne (c) CC BY SA 3 0 Mossot Wikimedia Commons

Dans le porche d’entrée de la cathédrale de Saint-Jean-de-Maurienne, on trouve le tombeau d’Humbert aux Blanches Mains.

Mais qui est-il ? Pourquoi est-il si important ?

Nous sommes autour de l’an mille. La présence d’un évêché puissant, construit autour de la relique des trois doigts de Saint Jean Baptiste, permet souvent au Moyen-Âge l’émergence d’une noblesse puissante qui lui assure la protection. C’est ainsi, qu’en Maurienne, une famille noble se développe et finit par posséder plusieurs châteaux. Le château de Bérold (dont il ne reste plus qu’une tour) située sur la colline qui surplombe La Tour en Maurienne, et le château de Charbonnières à Aiguebelle, dont il ne reste que quelques ruines, fief des Humbertiens.

Humbert aux Blanches Mains, seigneur de Maurienne, parent lointain de l’Empereur vient au secours de sa descendance dans plusieurs batailles dans les alentours des Alpes occidentales. Petit à petit il reçoit en remerciement de ses actions de nombreuses terres. De la Maurienne au Genevois, au Valais pour commencer.

Comte de Maurienne

Il devient ainsi, vers 1022, Comte de Maurienne. Son blason, qui est encore aujourd’hui une partie du blason de la Maurienne figure l’aigle noir sur fond jaune, typique de l’Empire. Le comte devient de fait un partenaire-concurrent inévitable pour l’évêque de Maurienne. Mais l’histoire de sa famille ne s’arrête pas là.

Son fils épouse Adélaïde de Suse et de ce fait étend les territoires de la famille vers le Piémont. D’autres descendants rapporteront la Vallée d’Aoste, les rives du lac Léman. Des alliances ajouteront le Faucigny et le Chablais (le nord de la Haute-Savoie actuelle).

Petit à petit les membres de la famille deviennent « les portiers des Alpes », car ils contrôlent les principaux cols alpins qui permettent de franchir la barrière naturelle qui sépare le nord de l’Europe de Rome.

Les Comtes de Maurienne deviennent Comtes de Savoie, ensuite Ducs de Savoie et plus tard, vers la fin de leur dynastie ils seront Rois de Sardaigne et Princes du Piémont et enfin Rois d’Italie.

Neuf siècles d’histoire européenne, d’alliances, de guerres, de conquêtes, de construction qui ont démarré là où les trois doigts de Saint Jean ont béni la terre de Maurienne.

Que voir aujourd’hui à Saint-Jean-de-Maurienne ?

La ville s’étire dans une large vallée ensoleillée à la confluence entre l’Arvan et l’Arc. D’aspect plutôt récent, elle s’est énormément développée au XXème siècle avec de nombreuses constructions collectives pour héberger les ouvriers mauriennais et italiens qui venaient travailler dans les usines de Maurienne. La vallée est le berceau de la fabrication de l’aluminium en France, mais aussi du plâtre et d’autres minerais. La présence du train, dès le milieu du XIXème siècle, et de l’énergie hydroélectrique en ont fait le lieu idéal pour produire le métal blanc, véritable richesse de la vallée.

Malgré cet aspect industriel et récent, le centre-ville de Saint Jean de Maurienne conserve des monuments importants.

L’inondation de 1439 qui a ravagé le centre-ville et la Révolution française dont les émissaires, dont le commissaire Albitte ont détruit tous les clochers de Maurienne ont eu raison de la ville médiévale, mais il reste quelques sites intéressants à visiter.

La cathédrale Saint-Jean-Baptiste

La cathédrale de Saint-Jean-de-Maurienne (c) CC BY SA 3_0 Mossot Wikimedia Commons

La cathédrale Saint-Jean-Baptiste de Saint-Jean-de-Maurienne est un joyau architectural qui témoigne de l’histoire riche de la région. Édifiée au VIᵉ siècle, elle a été reconstruite au XIᵉ siècle et agrandie au XVᵉ siècle, reflétant une évolution stylistique du roman au gothique. Elle possède l’une des plus vieilles charpentes de France, plusieurs poutres de sa toiture ont été coupées en 1074 ou 1075. En pénétrant dans l’édifice, le visiteur est captivé par les stalles gothiques en noyer du chœur, chacune finement sculptée et unique, datant de la fin du XVe siècle.

Le cloître, édifié en 1450, est un exemple remarquable de l’art gothique. Situé entre le réfectoire des chanoines et la cathédrale, il offre un espace de sérénité propice à la méditation. La crypte préromane, redécouverte en 1958, est accessible uniquement lors de visites guidées. Elle dévoile des vestiges des premières constructions et offre un aperçu des fondations spirituelles de la cathédrale. La façade néoclassique, ajoutée en 1771, contraste harmonieusement avec le reste de l’édifice et abrite les tombeaux des premiers princes de la Maison de Savoie, dont celui de Humbert aux Blanches mains.

Mais ce qui intrigue peut-être le plus, ce sont les fameuses reliques : les trois doigts de Saint Jean-Baptiste, conservés dans un reliquaire précieux. Ces fragments sacrés, qui auraient touché le front du Christ lors de son baptême, sont à l’origine même de la prospérité de Saint-Jean-de-Maurienne.

La cathédrale est ouverte au public tous les jours de 8h à 19h

Détail du portail de l’église de Notre-Dame à Saint-Jean-de-Maurienne (c) CC BY SA 3_0 Mossot Wikimedia Commons

L’église Notre-Dame, datant du XIᵉ siècle, était une église romane. Classée aux Monuments Historiques, elle se distingue par son portail orné de chapiteaux sculptés représentant des motifs végétaux et des personnages médiévaux. Bien que désaffectée et ayant servi à divers usages au cours du XXᵉ siècle, elle fait l’objet depuis 2020 d’une campagne de restauration visant à préserver sa structure et son histoire. Elle a quand même perdu son charme d’ancien lieu de culte. Son clocher est aujourd’hui connu comme « le grand clocher » et il est séparé de l’église par une rue. Il ne se visite pas mais est un des éléments caractéristiques du paysage urbain du centre-ville.

Au Moyen-Âge des conflits éclatèrent entre le comte et l’évêque. En 1326 après une révolte des habitants des Arves contre l’évêque, les deux seigneurs se partagèrent le pouvoir, nommant un juge commun, le « corrier », qui siégeait dans une maison forte toujours visible quoiqu’engluée dans des bâtiments adventices, à quelques mètres du grand clocher. De cette période médiévale, Saint-Jean-de-Maurienne garde son plan en croix que l’on retrouve dans son axe nord-sud, la pittoresque rue Saint-Antoine prolongée par la rue du collège. Celle-ci tire son nom du collège Saint-Joseph installé dans l’ancien couvent des Bernardines, bel exemple du patrimoine cistercien du XVIIe siècle.

Se promener dans les ruelles

En vous promenant dans les ruelles de Saint-Jean-de-Maurienne, vous découvrirez également des maisons anciennes aux façades peintes, des fontaines séculaires et des détails architecturaux qui racontent l’histoire de cette cité alpine. Chaque édifice, chaque pierre, est le reflet d’un passé riche et d’une culture profondément enracinée dans la tradition savoyarde.

La chapelle de Bonne-Nouvelle, perchée sur les hauteurs de la ville, est un exemple remarquable du style baroque alpin. Erigée en 1524, son intérieur très clair conserve de nombreux ex-voto, témoignant de la dévotion locale et des grâces attribuées à Notre-Dame de Bonne-Nouvelle

Enfin, un musée local est particulièrement important car ce qu’il expose fait la fierté de tous les savoyards

Bien avant la grande industrie s’étaient développés de petits métiers. Issu d’une vieille famille de taillandiers, Joseph Opinel créait le célèbre couteau qui a conquis monde.

Le Musée Opinel, les lames aux trois doigts

Bien avant la grande industrie s’étaient développés de petits métiers. Issu d’une vieille famille de taillandiers, provenant des vallées voisines Joseph Opinel créait le célèbre couteau qui a conquis monde.

En 1890, dans le paisible village savoyard d’Albiez-le-Vieux, Joseph Opinel, alors âgé de 18 ans, conçoit un couteau de poche pliant au manche en bois, orné du symbole de la « main bénissant ». On retrouve donc sur ce produit emblématique des Pays de Savoie les trois doigts de Saint Jean Baptiste.

Ce couteau, simple et robuste, séduit rapidement les artisans et paysans locaux.

Dès 1897, Joseph décline son couteau en douze tailles numérotées, répondant ainsi aux besoins variés de ses utilisateurs. Le succès est fulgurant, et l’Opinel devient un compagnon indispensable pour de nombreux Français. En 1955, Marcel Opinel, fils de Joseph, invente le système Virobloc®, une bague de sécurité permettant de verrouiller la lame en position ouverte, renforçant ainsi la sécurité d’utilisation. Ce mécanisme sera amélioré en 2000 pour permettre également le blocage de la lame en position fermée.

Un des plus beaux objets du monde

La reconnaissance internationale ne tarde pas. En 1985, le Victoria and Albert Museum de Londres sélectionne l’Opinel parmi les 100 plus beaux objets du monde, aux côtés de la Porsche 911 et de la montre Rolex.

Aujourd’hui, l’entreprise Opinel, toujours dirigée par les descendants de Joseph, fabrique ses couteaux à Chambéry, au cœur des Alpes françaises. Tout comme les Comtes de Savoie partis de Maurienne pour s’installer à Chambéry, Opinel a transféré son site de production également à Chambéry. L’entreprise vend plus de 7 millions de couteaux dans plus de 70 pays. La moitié de la production part à l’export.

L’Opinel est devenu une icône du design et de la culture française, apprécié tant par les amateurs de plein air que par les chefs cuisiniers. Son design intemporel et sa fonctionnalité en font un outil prisé des aventuriers, des artisans et des gastronomes du monde entier.

A Saint Jean de Maurienne on peut visiter le musée, aménagée dans une ancienne usine de la marque, qui est dédié à l’histoire des couteaux de la marque Opinel. On y découvre des expositions retraçant l’évolution de la fabrication du couteau, de l’ancienne forge aux ateliers actuels. Le Musée Opinel est ouvert tous les jours (le dimanche seulement en juillet et août).

Promesse d’un rayonnement international de Saint-Jean-de-Maurienne

Depuis quinze siècles, Saint Jean de Maurienne a écrit l’histoire de cette région des Alpes. Les reliques de Saint Jean Baptiste ont drainé le pouvoir dans la vallée de la Maurienne avant que celui-ci ne rayonne par-delà les Alpes à travers l’histoire de la maison de Savoie.

Pionnière dans le rail, dans l’utilisation industrielle de l’électricité, dans la production de l’aluminium, la Maurienne est avant tout un lieu de passage. Ses cols, le Galibier, le Mont Cenis, l’Iseran, les cols qui traversent le massif de la Vanoise ont été empruntés par des pèlerins, des marchands et des armées.

Aujourd’hui encore grâce aux tunnels routiers et ferroviaires, la Maurienne est traversée par des milliers de voyageurs et des tonnes de marchandises quotidiennement.

Dans un futur proche, la Maurienne, et surtout Saint Jean de Maurienne va à nouveau rayonner en Europe grâce à son centre de transport multimodal adossé au tunnel ferroviare de la liaison Lyon-Turin. Le projet de liaison ferroviaire Lyon-Turin représente une opportunité stratégique majeure pour Saint-Jean-de-Maurienne, positionnant la ville comme un nœud central dans les échanges transalpins. La construction du tunnel de base du Mont-Cenis, long de 57,5 kilomètres, reliera directement Saint-Jean-de-Maurienne à Suse en Italie, facilitant ainsi le transit des marchandises et des voyageurs entre la France et l’Italie.

La nouvelle gare internationale

La gare provisoire àa Saint-Jean-de-Maurienne (c) SNCF réseau Département de la Savoie

La transformation de la gare actuelle en une gare internationale moderne est au cœur de ce projet. Cette nouvelle infrastructure, conçue pour accueillir des trains à grande vitesse et des convois de fret, renforcera l’accessibilité de la ville et stimulera son attractivité économique. L’impact économique attendu est significatif. La modernisation des infrastructures ferroviaires devrait attirer de nouvelles entreprises, notamment dans les secteurs de la logistique et du tourisme, générant ainsi des emplois locaux et dynamisant l’économie régionale. De plus, la réduction des temps de trajet, avec un gain estimé de près de 45 minutes entre Saint-Jean-de-Maurienne et Bussoleno, facilitera les déplacements quotidiens des habitants et des visiteurs.

Au-delà des retombées économiques, le projet Lyon-Turin s’inscrit dans une démarche écologique en favorisant le report modal de la route vers le rail. Cette transition contribuera à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et à la préservation de l’environnement alpin, enjeu majeur pour les générations futures.

Il semblerait que les trois doigts de Saint Jean Baptiste aient encore béni la vallée de la Maurienne où une jeune femme pieuse de Valloire, Sainte Thècle, les a rapportés il y a bientôt 1500 ans.

Carte de la liaison Lyon-Turin (c) TELT sas

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NOTRE RUBRIQUE: NOS ALPES À LA DÉCOUVERTE

Un pied en France, un pied en Italie, depuis mon enfance je traverse les frontières et je me passionne pour la culture alpine et les paysages des Alpes. Je transmets cette passion à travers mon activité de rédacteur et consultant dans le tourisme et l’outdoor. J’ai créé le blog alpaddict.com et j’anime une communauté de plusieurs milliers de passionnés sur les réseaux sociaux associés au blog. Vous me croiserez en montagne, en ville ou dans un musée, mais toujours avec mon appareil photo !

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