À première vue, Annecy séduit par ses canaux romantiques, son bord de lac, ses façades pastel et ses montagnes en toile de fond. Trois millions de visiteurs, chaque année, traversent les ruelles et les ponts sur les canaux du centre-ville.

Mais derrière cette carte postale se cache une histoire mouvementée, tissée de conflits politiques, de schismes religieux et de luttes de pouvoir. Chaque crise a été l’occasion de renforcer le centre de pouvoir d’Annecy.

C’est dans ces tensions, souvent venues de Genève, que la ville a forgé son destin et bâti un patrimoine exceptionnel.

Annecy, refuge des comtes de Genève

Palais de l’Isle ou Maison Thiou, à Annecy (c) CC BY SA 4_0 Tournasol7 Wikimedia Commons

Au début du Moyen Âge, Annecy était un tout petit village au bord du lac. Au XIIème siècle il est fait mention d’une église à proximité d’un château sous les pentes du Semnoz, la montagne qui domine la ville d’Annecy, et d’une maison forte au milieu du Thiou, la rivière qui s’écoule depuis le lac. Le Comté de Savoie commençait à prendre forme en recevant de l’Empereur un certain nombre de territoires, dont celui du Genevois qui s’étendait de la ville de Genève jusqu’au Faucigny, au pied du Mont Blanc, en incluant le lac d’Annecy. Comme dans plusieurs autres régions alpines inféodées à l’Empire, au Moyen Âge, Genève, capitale du Genevois, est tiraillée entre deux autorités.

Les comtes de Genève laïcs, représentant le pouvoir temporel et les évêques, détenant le pouvoir spirituel, prétendaient, tous deux, au contrôle de la cité. Les comtes, souvent en conflit avec les évêques soutenus par l’Empire, finirent par se replier à Annecy, sous peine d’excommunication. Genève resta aux mains des Evêques, et Annecy commença a prendre son essor. Dès la fin du XIIe siècle, ils s’installent au manoir de Novel, à proximité d’Annecy le vieux, au nord de la ville, puis au château d’Annecy, qu’ils agrandissent au fil des siècles. La ville devient alors la capitale du comté de Genève, bénéficiant de la présence de cette noblesse en exil.

Cette période voit l’essor d’Annecy, avec la construction de l’église Saint-Maurice et du Palais de l’Isle, emblème de la ville. Le château, aujourd’hui musée, témoigne de cette époque où Annecy devient un centre politique et administratif majeur. Le manoir de Novel héberge un centre de documentation sur l’environnement.

Robert de Genève, l’antipape annécien, né au Château d’Annecy

Château d’Annecy, en Haute-Savoie (c) CC BY SA 3_0 Daniel Culsan Wikimedia Commons

Le dernier des Comtes de Genève, Robert, naquit en 1342 à Annecy et marqua l’histoire de l’Occident. Fils du comte Amédée III, il devint cardinal puis, en 1378, fut élu pape par une faction opposée à Urbain VI, prenant le nom de Clément VII. Ce schisme, connu sous le nom de Grand Schisme d’Occident, divise la chrétienté pendant près de 40 ans.

Pour en comprendre l’origine, il faut remonter à 1309, le pape Clément V, élu sous l’influence grandissante du Roi de France Philippe le Bel, décida de transférer la résidence papale de Rome à Avignon pour des raisons politiques et sécuritaires. Sept papes, régulièrement élus, allaient ainsi se succéder à Avignon. Grégoire XI, le dernier, décida pourtant de revenir à Rome, en 1377, dans un contexte encore tumultueux, dominé par les opposants aux nominations de légats et cardinaux français sur les terres italiennes.

Robert de Genève, le cardinal, se rendit même responsable de la mort de 4000 civils lors du massacre de Césène destiné à mater la rébellion.  À la mort de Grégoire XI, en 1378, le conclave, sous la pression du peuple romain désireux d’un pape italien, élut Urbain VI. Celui-ci n’apprécia pas que son élection soit contestée par une partie des cardinaux, principalement français, et il leur rendit la vie très difficile. Les cardinaux français, appuyés par le Roi de France décidèrent de se séparer et d’élire, en parallèle, un nouveau Pape, Robert, sous le nom de Clément VII, qui s’installa à Avignon. Un antipape. Pendant quarante ans, cette division fit beaucoup de mal à la Chrétienté en Occident.

Malgré l’installation de Clément VII en Avignon, son origine annécienne conféra à la ville d’Annecy un prestige certain. En 1394, il éleva l’église Notre-Dame-de-Liesse au rang de collégiale renforçant le rayonnement spirituel d’Annecy.

Fondée au XIVe siècle par les comtes de Genève, l’église fut été érigée sur le site d’un ancien oratoire marial, avec l’intention d’en faire la nécropole de la lignée comtale. Le clocher, datant du XVe siècle, est l’un des éléments les plus anciens de l’édifice. Celui-ci abrite plusieurs cloches anciennes, dont la plus ancienne date de 1655 et sonne encore l’Angélus.

La fonderie Paccard a su marquer ce clocher de son empreinte. Le bourdon, nommé « La Salésienne » en l’honneur de Saint François de Sales pèse plus de cinq tonnes et a été fondu en 1878. Au fil des siècles, l’église a subi plusieurs transformations, notamment après la Révolution française, où le chœur fut détruit pour créer une place publique. La reconstruction de l’église, entre 1846 et 1851, a donné naissance à l’édifice actuel, de style néoclassique sarde, caractéristique de l’architecture religieuse savoyarde du XIXe siècle. Les bas-côtés abritent deux autels latéraux dont l’un fut dédié à saint François de Sales, figure emblématique de la Contre-Réforme.

Robert, l’antipape Clément VII, reçut le Comté de Genève en héritage après la mort de son frère Pierre en 1392, mais mourut en 1394, en étant le dernier de la lignée des Comtes de Genève. Après une période incertaine pendant laquelle le territoire passa à la famille de Villars, le Comté de Genève finit par être vendu, en 1401 à Amédée VIII, Comte de Savoie, futur Duc de Savoie et antipape Félix V !

La Réforme à Genève, la Contre-Réforme à Annecy

Il faut faire un bond d’un peu plus d’un siècle pour plonger dans la période de la réforme protestante à Genève. En effet, au XVIe siècle, Genève adopta la Réforme protestante sous l’impulsion de Calvin. Les autorités catholiques – les fameux Evêques qui avaient chassé les Comtes dans les siècles précédents – sont à leur tour chassées de la ville en 1536 et trouvèrent refuge à Annecy, dans le très catholique duché de Savoie. En 1538, le chapitre de la cathédrale Saint-Pierre s’installa dans l’église des Cordeliers, qui devint la cathédrale Saint-Pierre d’Annecy. La ville devint alors le siège du diocèse de Genève en exil. Ce n’est qu’à partir de 1822, sans espoir de retour, il finit par prendre le nom de Diocèse d’Annecy !

Cette situation fit d’Annecy un bastion de la Contre-Réforme. Des ordres religieux s’y établirent, comme les Clarisses et les Visitandines. L’évêque Claude de Granier, sommé par Charles-Emmanuel 1er de reconvertir le Chablais, passé du côté de la Réforme, y envoya prêcher François de Sales, dès 1594. Après avoir réussi cette conversion dès  1598, François de Sales fut nommé évêque en 1602, réforma le clergé et fonda, avec Jeanne de Chantal, l’ordre de la Visitation.

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Saint François de Sales (c) CC BY SA 3_0 Ghislain118 Wikimedia Commons

Le patrimoine baroque de la Rome des Alpes

La présence des autorités religieuses et des ordres monastiques à Annecy entraîna une floraison artistique et architecturale. L’église Saint-François-de-Sales, construite à partir de 1642, est un joyau du baroque savoyard, avec sa façade inspirée de l’église du Gesù à Rome. La basilique de la Visitation, érigée au XXe siècle sur le Crêt du Maure, abrite les reliques de François de Sales et de Jeanne de Chantal, perpétuant leur mémoire.

Le palais épiscopal, les couvents, les églises et les bâtiments civils témoignent de cette époque où Annecy était un centre spirituel majeur. La ville, surnommée la « Rome des Alpes« , attire pèlerins et fidèles, renforçant son statut et son développement.

Annecy aujourd’hui : une ville façonnée par l’histoire

Les conflits et rivalités qui ont secoué Genève ont fortement contribué à la prospérité d’Annecy. La ville a su tirer parti de ces bouleversements pour se développer et enrichir son patrimoine. Aujourd’hui, en flânant dans la vieille ville d’Annecy, en visitant ses églises et ses musées, on perçoit encore les traces de cette histoire tumultueuse qui a façonné son identité. Mais l’histoire du développement de la ville d’Annecy a continué dans des temps plus modernes également.

Le pouvoir de la ville n’a fait que progresser. Pourtant lors de la Révolution française, le département nouvellement constitué du Mont Blanc reconnut à Chambéry la primauté historique sur la région, et celui, plus éphémère du Léman, donna à Genève la qualité de chef-lieu en rognant sur les anciennes terres du Comté de Genève, passée à la Savoie.

Ce n’est qu’après la cession de la Savoie à la France, en 1860, que le département de la Haute-Savoie fut constitué autour des trois provinces qui appartenaient aux Comtes de Genève : le Genevois, le Chablais et le Faucigny. Et enfin, logiquement, ce fut la ville choisie au Moyen-Âge par les Comtes eux-mêmes, Annecy, qui fut choisie comme préfecture. Sur le lac d’Annecy, Napoléon III et l’impératrice Eugénie participèrent le 29 août 1860 à une grande célébration, premier pas de l’intégration dans le système français. La Fête du Lac encore rappelle l’évènement: chaque année rassemble au bord de l’eau environ 100 000 spectateurs pour un spectacle de lumières et de théâtre.

La célébration le 29 août 1860

Aujourd’hui, la situation est apaisée avec son ancienne rivale Genève. La position frontalière de la Haute-Savoie draine un flux de richesses vers la ville, en provenance de tous les travailleurs frontaliers qui quotidiennement franchissent la frontière. La ville d’Annecy se retrouve ainsi aux portes de cette grande agglomération qui a pris le nom de Grand Genève et bénéficie de cette coopération transfrontalière, en marge des travaux du Comité régional franco-genevois (CRFG), créé en 1973, et du Groupement local de coopération transfrontalière du Grand Genève (GLCT), créé en 2013.

Quant au développement du Service express régional métropolitain (SERM), il permet à Annecy d’intégrer le réseau efficace de transports en commun et de mobilités douces de Genève, avec plus d’une vingtaine de trains quotidiens entre les deux villes, par exemple.

Annecy fille de Genève ? Non, pas vraiment. Annecy a su bénéficier de chaque étape de son histoire, certes souvent liée à celle de sa célèbre voisine suisse, pour s’émanciper, grandir, s’enrichir et s’affirmer. Annecy, comme beaucoup d’autres villes, a suivi la marche naturelle de l’histoire européenne depuis le démantèlement progressif de l’Empire au début du Moyen-Âge, jusqu’à nos jours.

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Un pied en France, un pied en Italie, depuis mon enfance je traverse les frontières et je me passionne pour la culture alpine et les paysages des Alpes. Je transmets cette passion à travers mon activité de rédacteur et consultant dans le tourisme et l’outdoor. J’ai créé le blog alpaddict.com et j’anime une communauté de plusieurs milliers de passionnés sur les réseaux sociaux associés au blog. Vous me croiserez en montagne, en ville ou dans un musée, mais toujours avec mon appareil photo !

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