Anna Maria Colombo retrace la mode masculine la plus raffinée Made in Japan, entre tradition et innovation
Le MAO de Turin est un musée auquel on ne s’attend pas. Son emplacement, le Palazzo Mazzonis, est une demeure du XVIIe siècle qui se dresse à l’intérieur du quadrilatère romain, à quelques pas du principal témoin médiéval de la ville, l’église San Domenico et sa façade ghimbergienne. Pourtant, une fois passé le guichet et accompli le geste respectueux de chausser ses surchaussures en polyéthylène bleu, l’enchantement opère et l’Orient vous accueille.
Jusqu’au 7 septembre prochain, le Musée d’art oriental accueille, à côté des collections permanentes, l’exposition « Haori. Gli abiti maschili del primo Novecento narrano il Giappone » (Haori. Les vêtements masculins du début du XXe siècle racontent le Japon) . L’exposition, qui s’appuie sur une collection privée appartenant à la Trévisane Lydia Manavello, trouve son point fort dans le choix de privilégier, parmi les vêtements typiquement japonais, les vêtements masculins, beaucoup moins connus, du moins en Italie, que les vêtements féminins.
Il s’agit d’une cinquantaine de vêtements en soie fine de deux styles, la veste de surkimono (haori) et la robe de souskimono (juban). Ces vêtements bidimensionnels en forme de T sont des œuvres textiles figuratives, c’est-à-dire que les images apparaissent à l’intérieur, par exemple sur la doublure. Il s’agit là d’un aspect important de l’esthétique japonaise, d’une richesse qui n’envisage pas l’exposition et dont seul le propriétaire bénéficie. Compris, contextualisés et rangés dans un certain ordre, les vêtements, comme des pages illustrées, racontent leur époque. Pour le Japon, ce fut une période de changements extraordinaires.
Histoire : le Japon s’ouvre à l’Occident
Après une longue période d’isolement, l’ère Meiji marque le début d’un processus de transformation de l’ancienne monarchie féodale du Japon en un État néo-capitaliste.
L’assimilation des nouveaux éléments de la culture occidentale par une société fortement ancrée dans son passé a été difficile. Dans un cas emblématique, elle a même été impossible : en 1970, à l’âge de 45 ans, le célèbre écrivain Yukio Mishima, dont le modèle était l’ancien samouraï, s’est suicidé en signe de rejet de l’abandon des valeurs traditionnelles et de la soumission du Japon, alors en plein essor économique, aux puissances étrangères.
Réflexions sur le grand écran
Avec la littérature, le cinéma raconte les contradictions de la période de transition. Les changements de mentalité et de coutumes se présentent, avec une grâce inégalée, par les chefs-d’œuvre de Yasujirõ Ozu (1903-1963), l’un des plus grands maîtres du cinéma. Dans les films Début d’été (Bakushu) et Fleurs d’équinoxe (Higanbana), le thème est la crise de l’institution du mariage arrangé par la famille ; dans Bonne journée (Oyaho), film choral se déroulant dans un quartier de banlieue, deux petits frères sont furieux contre leur père qui ne veut pas leur acheter ce nouvel objet d’attraction incroyable qu’est le téléviseur.
D’ailleurs, dans l’exposition, un panneau didactique, consacré aux événements historiques du Japon de 1868, début de l’ère Meiji, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, et quelques épisodes tirés des chefs-d’œuvre d’Ozu introduisent le spectateur au thème proposé.
Dans le domaine de l’habillement, le processus d’ouverture à l’Occident, pour les classes privilégiées du Japon, s’est traduit d’une part par l’adoption de vêtements de style européen, et d’autre part par l’introduction – dans le sillage d’une tradition millénaire de travail de la soie de la plus haute qualité et esthétiquement exquise – de nouvelles représentations dans les tissus.
S’habiller entre tradition et innovation
Les iconographies habituelles sont conservées, même si la nouveauté s’impose. Les haori représentant l’horoscope chinois et ses douze animaux (introduits au Japon vers le Ve siècle après J.-C.) et les haori représentant le couple Kanzan et Jittoku, deux types extravagants mais simples, qui personnifient les valeurs du bouddhisme zen, en sont des exemples. Les images sont peintes sur des tissus de soie de couleur claire à l’aide de katagami (pochoirs) et à main levée, tandis que pour l’extérieur des vêtements, on utilise des tissus de soie unie de couleur foncée, fabriqués sur des métiers à tisser manuels et teints avec des substances d’origine naturelle.
En revanche, dans l’exemple de l’ancien jeu de la mouche de l’aveugle – un nocturne insolite où, selon notre interprétation, une petite fille avec sa mère à côté d’elle appelle son père qui, les yeux bandés, tâtonne – la figuration est tissée selon la technique du satin broché, un genre obtenu avec un métier à tisser complexe.
Les nuances de couleur des tissus de brocart, obtenus par tissage multiple, peuvent être très riches, comme dans le plumage des oiseaux fréquentant l’étang représenté sur la doublure de l’un des élégants haori dont l’extérieur est en soie noire. Les images du monde naturel sont intemporelles et omniprésentes dans l’art japonais.
L’avancée du nouveau
La modernité a de nombreux visages. Les nouvelles iconographies concernent les moyens de transport, l’architecture, les enseignes publicitaires, les sports et les loisirs. Parmi celles-ci, une composition qui occupe toute la surface textile extérieure du vêtement (nagajuban) se distingue par son originalité. Peinte au pochoir et à main levée, la partie supérieure présente une figure féminine en maillot de bain qui, allongée sur le ventre sur le profil incurvé d’un mur, observe sans crainte le mouvement d’une grande vague qui se forme au-dessus d’elle ; tandis que dans la partie inférieure, dans un grand espace pavé de losanges, deux figures féminines se déchaînent dans la danse.
Elles portent des robes à fines bretelles, courtes et incrustées de lamelles scintillantes, qui se balancent de manière caractéristique sous l’effet de leur poids. Leurs cheveux sont coiffés de manière élaborée et elles portent des diadèmes. Il s’agit de deux « flappers », icônes de l’émancipation féminine aux États-Unis pendant les années folles. Les flappers dansaient au rythme de la musique jazz, populaire auprès des jeunes Japonais aisés qui vivaient dans les villes et recherchaient les divertissements de la modernité.
Dans une exposition de vêtements masculins décorés de sujets figuratifs, il ne pouvait manquer d’y avoir des images de guerre et de propagande en sa faveur. Les premières décennies du XXe siècle ont vu l’essor expansionniste du Japon en Asie et les épisodes d’oppression n’ont pas manqué. Par rejet de la guerre, ces iconographies ont été ignorées ici.
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