Lors d’une visite de la région de Saluces, Saluzzo en italien, le visiteur est frappé par deux détails majeurs : la silhouette imposant du Mont Viso qui domine la vallée du Pô et la richesse des bâtiments et demeures historiques de la région.
Si le premier élément n’est qu’une particularité géographique, qui cache quand même une jolie singularité historique, la sensation de grandeur – à l‘échelle médiévale – de cette petite ville du Piémont méridional et de ses alentours titille la curiosité de notre visiteur.
Pourquoi tant de faste à Saluces ? Pourquoi tant de châteaux dans la campagne de Saluces ?
Le Marquisat de Saluces, quatre siècles de prospérité
La ville de Saluces, les vallées des alpes cottiennes – Valle Po, Val Varaita, Valle Maira, Valle Grana et des villes de plaine -Carmagnola, Dogliani et Centallo- constituaient à la fin du XVIème siècle un marquisat florissant et puissant. Celui-ci entretenait des relations compliquées avec son voisin du Piémont, la Maison de Savoie, et des relations plus cordiales et amicales avec le roi de France, son allié. Le Marquisat de Saluces survécut quatre siècles, jusqu’en 1601.
Le contrôle des vallées et des cols alpins était une arme diplomatique à double tranchant. D’un côté il garantissait l’importance stratégique des routes commerciales (la route du sel par exemple), mais de l’autre il suscitait des convoitises. Des armées plus puissantes avaient toujours une envie pressante d’annexer ce petit territoire.
Ce fut le cas d’ailleurs en 1588. Le duc Charles-Emmanuel 1re de Savoie, prétextant des troubles religieux dans le marquisat, liés à la présence de protestants provenant du Dauphiné et du Queyras , décida de l’envahir et de s’en approprier. En réalité, le Duc de Savoie souhaitait surtout s’assurer du contrôle des routes de passage entre le Piémont et Nice, à travers l’Ubaye, la Tinée et la Roya.
Cette invasion provoqua quelques années plus tard la réaction du Roi de France Henri IV. Il envahit à son tour la Savoie par une guerre éclair en 1600-1601 face au refus du Duc de Savoie de rendre le marquisat à la couronne de France, à laquelle il était rattaché depuis une cinquantaine d’années.
Le traité de Lyon signé après la défaite cinglante du Duc de Savoie finit par laisser le marquisat de Saluces aux mains du Duc de Savoie en échange des territoires frontaliers, côté français, comme la Bresse, le Pays de Gex, le Bugey et la zone autour de Genève.
Ce traité signa la fin définitive de l’indépendance du marquisat de Saluces, mais aussi, la fin des espoirs de conquête de la ville de Genève pour le Duc de Savoie. Celui-ci n’avait plus que les plaines du Nord de l’Italie pour espérer étendre son territoire.
De son côté, le Royaume de France accroissait son territoire, là où il pouvait le défendre facilement. Quant au Marquisat de Saluces, il perdait son indépendance.
Néanmoins, pendant les quatre derniers siècles la ville avait été très prospère et ses monuments témoignent de cette période brillante.
La visite de la vieille ville de Saluces
Des anciens murs défensifs qui entouraient anciennement la ville il ne reste plus que le point culminant, la Castiglia, le château des marquis de Saluces. Tout en haut de la ville, en position dominante ce château en briques rouges, érigé au XIIIème siècle, devint plus tard une prison et c’est la raison pour laquelle il abrite aujourd’hui un intéressant musée de la Mémoire Carcérale. Cet imposant édifice abrite également le Musée de la Civilisation Chevaleresque qui relate l’histoire, les us et les coutumes de la période du Marquisat.
Au pied de la Castiglia une rue mène au lacis de vieilles ruelles pavées et bordées de beaux palais du XVIème siècle.
Au sein du premier d’entre eux, le Palazzo Comunale, s’élève une tour (la Torre Civica), haute de 48 mètres au sommet de laquelle on peut accéder par une longue série de marches. Les visiteurs courageux sont récompensés au sommet avec une magnifique vue sur les toits de la ville, la plaine et les Langhe vers l’Est et le Mont Viso vers l’Ouest.
Au-delà des édifices religieux parmi lesquels la cathédrale (Maria Vergine Assunta) mérite une visite pour ses éléments décoratifs composés de statues, crucifix et polyptique. Ils retracent l’histoire de l’art religieux entre le XIIIème et le XVIème siècle, ce sont les palais qui attirent l’attention du visiteur. Ici on appelle ces palais des « Case », des maisons.
Casa Cavassa, habitée par les Marquis jusqu’au milieu du XVème siècle ravira le visiteur par ses parties donnant sur la cour intérieure : des fresques sur les murs et des balcons en bois qui courent sur toute la largeur de l’édifice. Ils sont typiques des demeures piémontaises. Aujourd’hui, on peut y visiter un intéressant musée sur l’histoire de la ville.
Sur la jolie Piazzetta dei Mondagli, on retrouve la Casa Pellico. Cette ancienne maison médiévale hébergea pendant son enfance Silvio Pellico, poète, écrivain et surtout patriote italien. Son texte « Mes Prisons » écrit pendant son emprisonnement dans les geôles du pouvoir autrichien, inspira la génération des patriotes du Risorgimento qui ont construit l’Italie.
On terminera la visite de la vieille ville par la Villa Belvédère, un peu à l’écart, dont les terrasses engazonnées dominent le paysage. Au temps du Marquisat, elle était la maison de chasse des seigneurs de Saluces. La vue est très étendue.
Un tour dans les châteaux autour de Saluces
A Saluces, il ne reste plus que le château au sommet de la ville, la Castiglia. Mais dans les environs, il y en a plusieurs qui méritent un détour. Retenons-en deux : le château de Castellar et le château de la Manta.
L’aspect du château de Castellar correspond entièrement à l’image que l’on se fait des châteaux médiévaux. Imposant, en position dominante sur sa butte, remparts infranchissables, merlons, créneaux, tours, porte en ogive, pont levis… Cette ancienne demeure des Marquis de Saluzzo mérite le détour. Pour visiter l’intérieur, en revanche, il faudra profiter d’une visite guidée, ou de la fête des épouvantails pendant deux dimanches du mois de mai. Le village offre la possibilité de visiter aussi la chapelle de San Ponzio, très intime aux fresques médiévales bien conservées.
Le château de la Manta, lui, est ouvert pour la visite entre février et décembre. Le point d’orgue de la visite est certainement le salon baronnial avec un cycle de fresques gothique du XVIème siècle, inspirées des romans chevaleresques.
On y retrouve le cycle des Preux et des Héroïnes et la scène de la Fontaine de Jouvence. On attribue cette fresque à… un inconnu, que l’on a appelé il « Maestro della Manta » (le Maître de la Manta). La visite de la grande cuisine est aussi très intéressante : aux souterrains creusés dans la roche et utilisés comme des caves et les jardins. L’extérieur du Château de la Manta est moins spectaculaire que celui de Castellar à cause des nombreux remaniements dont il a été fait l’objet. Néanmoins, il ne faut pas rater l’angle de vue par lequel le visiteur peut combiner dans un même cliché, le château sur sa colline et le Mont Viso en arrière-plan.
Les amoureux des châteaux pourront ensuite continuer leurs visites dans les châteaux voisins de Costigliole Saluzzo, Busca, Verzuolo. C’est une région riche en demeures seigneuriales.
L’Abbaye de Staffarda
L’Abbaye de Staffarda est un des joyaux médiévaux du Piémont. C’est un lieu fascinant pour les amateurs d’histoire et de mystère. Fondée au XIIe siècle par les moines cisterciens, elle s’impose par son architecture romane et gothique, caractérisée par une austérité typique de la règle de Saint Benoît. Toutefois, derrière cette sobriété se cachent des secrets captivants…
La présence des moines cisterciens dans ces plaines proches de Saluces a permis d’augmenter les surfaces agricoles bonifiées, et donc la prospérité du Marquisat. Un exemple de très bon voisinage entre le pouvoir laïc et pouvoir religieux.
Le temps et les guerres ont eu raison de l’abbaye qui finit par se dégrader et se vider de ses œuvres artistiques. Sa bibliothèque fut même détruite lors de la Bataille de Staffarda en 1690. Mais depuis 1750 et sur ordre du Pape, l’abbaye est rentrée dans le patrimoine de l’Ordre Mauricien et ainsi protégée et restaurée.
On retrouve aujourd’hui, lors de la visite, tous les éléments de la vie abbatiale : l’extérieur avec son marché couvert et une façade monumentale, et l’intérieur plus sobre dont on visite l’église et le cloître, aux colonnes fines et légères, éloignés de la trépidante vie active du monde extérieur.
Dans l’église, l’alternance de briques blanches et rouges donnent de la lumière à l’ensemble et mettent en valeur les œuvres d’art qui s’y trouvent : un retable doré, un petit orgue, des crucifix en bois. La visite guidée, permet de découvrir également les espaces de vie des moines, notamment leurs dortoirs, le réfectoire et la salle capitulaire.
Parmi les mystères de l’abbaye de Staffarda, l’un des plus intrigants est la « Rose de Staffarda ». Cette étrange figure située à la fin de la nef droite est un enchevêtrement complexe de courbes et de cercles, d’origine mystérieuse, qui continue de fasciner les visiteurs. Elle semble symboliser un chemin spirituel ou cosmique, sans pour autant révéler clairement sa signification. Ce qui surprend le plus c’est surtout sa position totalement asymétrique par rapport au pan de mur sur lequel elle est représentée.
Parmi les autres mythes qui tournent autour de l’abbaye, il y aurait également un mystérieux passage secret qui conduirait vers une bibliothèque souterraine abritant des livres ésotériques. Pour le moment, personne ne l’a retrouvée.
En plus de ces récits, l’abbaye abrite une colonie de chauves-souris, fidèle au site depuis des années. Elles sont devenues presque un symbole de l’Abbaye au point d’avoir gagné le droit d’avoir leur propre pièce privatisée dans le secteur du réfectoire. On ne peut plus y accéder, mais les visiteurs ont la possibilité d’observer la colonie à travers un caméra connectée à un écran placé dans une autre salle.
Des chauves-souris, des passages mystérieux, des symboles encore non interprétés : l’abbaye de Staffarda ravit grands et petits, amateurs d’art, d’histoire et de mystères.
On peut visiter l’abbaye de Staffarda tous les jours sauf le jour de Noël, avec des plages d’ouvertures le matin et l’après-midi. Toutes les informations sur le site internet de l’abbaye, ici.
La vallée du Mont Viso et… sa surprenante curiosité historique
Parmi les belles vallées Alpines qui creusent les Alpes Cottiennes, la plus emblématique est celle où coule le fleuve Pô. Ce fleuve nourricier et symbolique du nord de l’Italie prend sa source au pied d’une montagne tout autant emblématique le Mont Viso. Sa silhouette triangulaire et pointue est visible par beau temps depuis l’ensemble du Piémont. C’est une peu la montagne sacrée de cette région.
En remontant la vallée, on peut faire une halte à Ostana, très joli village en pierre, faisant face au Mont Viso. Elle est le symbole aujourd’hui d’une volonté de créer à nouveau des habitats traditionnels en moyenne et haute montagne tout en attirant des familles et des jeunes.
On peut également visiter Oncino, pour découvrir les bains de forêts, ou découvrir l’histoire de la pierre verte d’Oncino, qui était extraite des mines de jade de la région.
Une fois passé le village de Crissolo, traversé le Pian della Regina et le Pian del Re on peut approcher les fameuses sources du Pô. A propos, le Roi et la Reine dont il est question ici, ne sont pas italiens mais français : il s’agit de François Ier et Claude de France.
A cet instant, le visiteur doit penser que ce cul de sac ne peut intéresser que les randonneurs et les alpinistes qui ont en ligne de mire le Mont Viso ou le sentier qui en fait le tour. Mais ils ignorent alors probablement, que plus haut dans la montagne, en 1480, à l’initiative d’un Marquis de Saluces, fut construit un tunnel !
Ce fut même le premier tunnel qui reliait deux versants d’une montagne. A une altitude de 2900 mètres d’altitude. Le Buco di Viso ou Tunnel de la Traversette, permettait le passage des troupes, des marchands et des colporteurs entre le Marquisat de Saluces, le Queyras et enfin le Sud de la France. C’était un des chemins qui constituaient le réseau de la Route du Sel. Surtout il évitait de se frotter aux soldats savoyards en poste à la frontière du Mont Cenis.
Sa visite demande une bonne condition physique et une dose de courage pour monter si haut. Toutefois, les 75 mètres de longueur de ce tunnel étroit, sombre et bas (de la hauteur d’un cavalier à dos de mule, couché sur sa bête) offrent aussi un passage à travers le temps.
Entre Turin et Cuneo, entre Langhe et Mont Viso, la région de Saluces offre de multiples raisons de passer une journée, un weekend ou plusieurs jours à la découverte de l’histoire et de la nature de l’ancien Marquisat. Saluces est facilement accessible depuis Coni et Turin en bus. Depuis la France, tous les accès routiers entre la France et le Piémont mènent à la plaine du Pô, soit à proximité de Turin, soit à proximité de Coni. Saluces est donc une destination simple à atteindre.
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