La commune de Passy est située au fond de la Vallée de l’Arve, avant de monter à Chamonix et tunnel du Mont-Blanc: elle abrite la formidable église Notre-Dame-de-Toute-Grâce, qui vaut vraiment un détour et une visite. Elle est située sur le plateau d’Assy, au-dessus de la ville, à environ 1 000 mètres d’altitude.
L’église est moderne et mérite donc encore plus d’attention. En général, et en Italie en particulier, les églises du XXe siècle se trouvent dans les zones d’expansion urbaine, sont construites suivant des projets bien rationnels et économiques, avec du béton et peu de caractère. Même lorsque les architectes ont fait un effort, le résultat n’a pas toujours été heureux.
L’église Notre-Dame-de-Toute-Grâce, en revanche, est précisément un cas de beauté nouvelle, d’élan artistique. Elle a d’ailleurs été bâtie plus sur des personnes et des passions, autour d’un projet d’un territoire et d’une communauté.
Pourquoi l’église
Le Plateau d’Assy a abrité jusqu’à 14 établissements de traitement de la tuberculose, les Sanatoriums, selon un modèle en vogue à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Il considérait fondamental, pour les soins, la qualité et la salubrité de l’air et l’environnement de montagne. C’était une vogue européenne et alpine, à qui on doit par exemple La montagne enchantée de Thomas Mann. Certains bâtiments du Plateau d’Assy font également partie de l’histoire architecturale de l’époque. On peut les comprendre, par exemple, dans les explications au Musée Savoisien de Chambéry.
Chaque établissement disposait de son propre espace religieux, les chapelles. Au milieu des années 1930, Jean Dévemy était aumônier du sanatorium de Sancellemoz, un grand établissement de 190 lits où sont passé, entre autres, Igor Stravinsky et Marie Curie, décédée en 1934.
Dévemy pensait qu’il aurait été utile de construire une église, lieu religieux pour l’ensemble de la communauté, pour les patients et les habitants. Avec l’accord de l’évêque, il lança un concours d’idées en 1937 et le projet fut confié à un architecte savoyard de 30 ans, Maurice Novarina. Sa vision de la nouvelle église intègre des éléments de l’identité locale, à commencer par les matériaux : la pierre, l’ardoise et le bois.
Aujourd’hui, le bâtiment présente à l’œil du visiteur les caractéristiques modernes de l’époque, il est massif avec l’intention de donner l’idée de solide et d’enraciné, il rappelle un peu un grand chalet ou une grande ferme mais avec un clocher qui s’élance et qui rappelle une tour. Il s’agit d’une nouvelle église profondément alpine, intégrée dans le territoire. L’édifice, dont la construction et l’ouverture ont traversé la Seconde Guerre mondiale, a été ouvert au culte en 1941.
Les artistes de la première moitié du XXe siècle à l’église de Passy
Ses décorations ont fait l’édifice célèbre et un lieu représentatif de l’art de la première moitié du XXe siècle. Par des amitiés personnelles et la découverte d’œuvres vues à Paris, le père dominicain Alain Couturier, d’accord avec Jean Dévemy et Maurice Novarina, initie à partir de 1945 un programme de décoration et d’embellissement de l’église.
Par ce chemin, elle a reçu la contribution des grands artistes de l’époque, comme Marc Chagall – pour tout l’espace du baptistère et des fonts baptismaux, ou par les mosaïques de la façade de l’église par Fernand Léger.
C’est à Henri Matisse que l’on doit l’autel situé à gauche de la nef, avec un Saint Dominique en céramique, à Jacques Lipchitz (c’est-à-dire Chaim Jacob Lipchitz) la sculpture de Notre-Dame-de-Liesse, tandis que de Théodore Stravinsky, le fils aîné d’Igor (qui fut guéri au plateau d’Assy), on peut voir les mosaïques de Saint-Joseph et de Sainte Thérèse de Lisieux. Et puis il y a les œuvres de Jean Bazaine, Pierre Bonnard avec son Saint François de Sales, Georges Braque, Jean Lurçat, Germaine Richier, Georges Rouault – ses vitraux – Marguerite Huré, Charles Sergio Signori, Adeline Hébert-Stevens.
Cet ensemble d’œuvres donne à l’église un caractère nouveau et extraordinaire. Elles mêlent la modernité des expressions artistiques de la première moitié du XXe siècle à un édifice religieux, qui à l’époque était aussi porteur de valeurs de conservation et de continuité avec le passé.
L’art comme passage d’une époque
L’église de Passy a donc été pendant des années l’objet de fortes discussions portant précisément sur la confrontation entre modernité et conservation, dans le cadre du débat sur le rôle de l’église dans le passage à la seconde moitié du XXe siècle, qui allait être marqué enfin par le Concile Vatican II.
Le Christ au corps torturé et souffrant, placé devant le maître-autel, par la sculptrice Germaine Richier, a par exemple fait l’objet d’une si vive controverse qu’il a dû être retiré de l’église en 1954, pour n’y revenir qu’en 1969.
Notre-Dame-de-Toute-Grâce sur le plateau d’Assy sert alors d’exemple à d’autres nouvelles églises en France, comme celles de Les Bréseux (Doubs) en 1947, de Vence, près de Nice, entre 1948 et 1950, toujours avec Matisse, ou la chapelle Notre-Dame du Haut à Ronchamp en Haute-Saône de Le Corbusier au milieu des années 1950.
L’église Notre-Dame-de-Toute-Grâce a été restaurée depuis 2011. À noter également, à une quarantaine de mètres de l’église, la grande – et même monumentale – sculpture Plaidoyer pour les Droits de l’Homme, qui constitue ancore, dans cet espace déjà si riche, un apport dialectique et laïque entre la modernité et le message religieux.
Le débat sur l’architecture a également été bien animé : Maurice Novarina, qui avait conçu en 1937 sa Notre-Dame-de-Toute-Grâce, n’aimait pas cette sculpture, et n’était pas content de la voir juste à côté. Il a d’ailleurs décidé de ne pas assister à son inauguration : c’était l’an 2000 et il était âgé de 93 ans.
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