« FLEURAGE DE VELOURS POUR SAINT OURS. Vêtements liturgiques anciens et précieux dans les églises de la Vallée d’Aoste
Pour les habitants d’Aoste et de toute la vallée, saint Ours est une figure bien connue. Il est, avec saint Pierre, le titulaire de la collégiale de la capitale régionale et porte son nom sur la foire qui, chaque année depuis le Moyen-Âge, envahit le centre d’Aoste à la fin du mois de janvier.
Cette notoriété, entretenue par une dévotion toujours vivante, s’est pourtant consolidée sur une biographie du saint toujours aussi maigre. Même l’époque à laquelle il a vécu reste incertaine, entre le Ve et le VIIIe siècle.
Un saint simple et humble
Le peu que l’on sait de la vie du saint provient de textes hagiographiques datant de plusieurs siècles. Orso aurait été l’humble gardien d’une église hors les murs d’Aoste, dédiée à saint Pierre. L’édifice, qui date probablement du Ve siècle, constituerait le noyau le plus ancien de la collégiale des Saints Pierre et Ours.
La vie du saint s’est déroulée dans l’accomplissement diligent de son travail, dans la prière assidue et dans la ferveur de l’aide aux pauvres, aux malades et aux affligés. Il cultive le jardin et la vigne autour de sa masure, et les miracles qu’il accomplit sont simples, à la mesure de sa personne : il arrête les eaux qui menacent l’église dont il a la charge, il fait retrouver à un écuyer son cheval perdu, il enchante les oiseaux, qui cessent de voler pour se percher et l’écouter.
Comme tous les plus pauvres, on peut l’imaginer couvert d’un tissu grossier et rude, même pas teint, un sac grossier, et durant les longs hivers abrité par des peaux de bêtes. Mais le sentiment populaire, que les artistes savent bien capter, a voulu lui donner la dignité d’un haut ecclésiastique.
Avec ses vêtements sacrés (polychromes à l’origine) et le bâton du prieur, il est représenté dans l’antependium en bois du Museo Civico d’Arte Antica du Palazzo Madama de Turin (inv. 1063/L), daté du deuxième quart du XIVe siècle et appartenant à l’origine au maître-autel de la collégiale des Saints Pierre et Ours, démantelée à la fin du XVe siècle.
Saint Ours paré de soie
La tenue vestimentaire du saint populaire est restée à peu près la même jusqu’à l’arrivée du XVIIIe siècle où un peintre non signé introduit un nouvel élément.
S’inspirant de l’héritage des vêtements liturgiques du clergé local, conservés dans les armoires de la sacristie et portés lors des offices solennels, le peintre représente Saint Ours portant une chape en « fleurage de velours ». Appelé « velours de jardin » en italien, il s’agit du plus beau et du plus cher des tissus baroques.
L’une de ces chapes est exposée au musée de la cathédrale d’Aoste, centre de foi, d’histoire et d’art non moins remarquable que la collégiale. Etalée dans une vitrine, on voit comment la largeur du manteau est le résultat de l’union de plusieurs pièces de tissu et on apprécie comment, dans son ensemble, le dessin se développe. En revanche, la couleur originale du vêtement est perdue : la lumière et la poussière endommagent irrémédiablement les tissus de soie, qui jaunissent et perdent de leur consistance, jusqu’à se transformer en poussière.
Le tableau restauré
C’est à peu près la même altération des couleurs qui a appauvri le tableau de Saint Ours, conservé à la Collégiale. Mais contrairement aux textiles, les peintures peuvent retrouver leur aspect d’origine. Ayant récemment fait l’objet d’une restauration minutieuse, la figure de l’humble saint Ours resplendit désormais de couleurs.
Acheté par l’élite laïque et ecclésiastique, le « velours de jardin » est la production la plus prisée de la seconde moitié du XVIIe siècle, qui a fait la renommée de la manufacture de soie génoise. Sa caractéristique est que le motif – floral, large et multicolore – est en relief sur le fond blanc.
La fabrication, réservée à des artisans hautement spécialisés, nécessitait des fils de soie pure, teints avec des colorants naturels, ainsi que des laminettes argentées utilisées dans le fond, afin d’augmenter l’éclat du tissu. Dans le tableau, la chape, maintenue sur la poitrine par une boucle bijou à chaton, est bordée d’un chevron d’or et doublée de soie rouge. Le manteau tombe en lourds plis et laisse apparaître un surplis blanc retenu par une gaine.
Au nombre de vêtements en « velours de jardin » conservés dans les deux principaux lieux de culte d’Aoste et dans l’église paroissiale de Saint-Étienne, il faut ajouter des spécimens provenant d’églises d’autres localités (Cogne, Perloz, Valpelline, Villeneuve).
Cette concentration fait du patrimoine textile liturgique valdôtain un cas unique.
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