Sur un ciel bleu nuit jaillissent des outils et des jouets en bois aux couleurs irisées, comme éclairés par le dernier rayon de soleil. C’est l’affiche du 1025. Foire de Saint-Ours de l’artisanat valdôtain, qui se tient en Vallée d’Aoste du 30 au 31 janvier 2025: la silhouette reconnaissable d’un sabot figure parmi les objets représentés.
Parmi les productions artisanales typiques, cette chaussure fabriquée à partir d’une seule pièce de bois possède une tradition plus ancienne que la Foire elle-même, qui dériverait de la coutume des chanoines de Saint-Ours de distribuer des sabots aux pauvres la veille de la fête du Saint, qui tombe le premier jour de février.
19e et 20e siècles, dans l’atelier du sabotier
La production de sabots était l’un des aspects de la culture matérielle des peuples alpins et, à ce titre, elle trouve son propre espace pédagogique au Musée national de la montagne « Duca degli Abruzzi » de Turin. On peut y observer les outils que l’artisan spécialisé, le sabotier, utilisait pour réaliser son œuvre et les sabots dans les différentes phases de fabrication.
Il s’agit d’outils du début du XIXe siècle utilisés dans le Val d’Ayas, territoire situé sur les contreforts valdôtains du mont Rose, où la production de sabots, ayant dépassé l’autoconsommation, est devenue prédominante et leur commerce s’est étendu à la plaine.
Solides mais légers, résistants à l’eau et dotés d’une excellente capacité thermique, les sabots étaient utilisés par les agriculteurs de la région de Vercelli pour les travaux des champs et même, sur les pieds des jeunes filles et des enfants, pour patiner sur les étendues d’eau gelées en hiver.
Pendant la Première Guerre mondiale, ils étaient attribués aux soldats italiens pour mieux résister au sol humide des tranchées. Ce sont quelques-unes des histoires contenues dans le volume I sabotier d’Ayas, le 49e des glorieux « Quaderni di cultura alpina ».
Mais le sabot est une de ces choses, fabriquées par l’homme, dont la forme est commune à plusieurs cultures et pratiquement inchangée au fil du temps.
18e siècle, dans la cabane à l’orée de la forêt
À rebours, dans l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers du 18e siècle, de Diderot et D’Alembert, un tableau et une explication sont consacrés à la fabrication des sabots. Inscrit dans l’économie rustique de l’époque, le métier est montré dans son cadre et dans ses phases saillantes, puis, comme dans une exposition muséale, les outils nécessaires sont alignés et décrits.
Si dans les vallées alpines, il n’était pas rare que les sabots soient taillés dans les étables, dans la réalité française, les forts ouvriers travaillent à l’intérieur et à l’extérieur d’une cabane, précisément construite comme le toit d’une glacière et recouverte de paille sur les pans. Dans ce cas précis, il n’est peut-être pas inutile de noter que dans les planches qui accompagnent les volumes de texte de l’Encyclopédie, les murs des usines, des ateliers et des boutiques sont abattus pour nous montrer ce qui se passe à l’intérieur. La cabane possède donc une ouverture au sommet qui sert de fenêtre et de cheminée, et se dresse dans une clairière qui a pour toile de fond le bois d’où proviennent les bûches utilisées.
Laissant derrière nous – dans notre voyage à rebours – l’ancien régime, les témoignages de la culture matérielle des classes populaires, dans les montagnes comme dans les villes, se font rares. Ceux qui restent deviennent alors extrêmement précieux. Et c’est surtout l’art sacré qui nous les offre dans un mélange fascinant et inédit de terre et de ciel.
14e siècle, dans l’atelier du maître d’Oropa
Au Musée d’art ancien de Palais Madama de Turin, se trouve un antépendium en bois de forme gothique que le curé Paolo Papone a récemment reconnu comme ayant fait partie du maître-autel de la collégiale des saints Pierre et Ours d’Aoste. De part et d’autre du panneau central, qui représente le couronnement de la Vierge, se trouvent les saints, dont les saints titulaires de l’église, Pierre et Ours, et saint Augustin, modèle de la spiritualité des chanoines réguliers de la collégiale. La façade est attribuée au Maître de la Vierge d’Oropa, un sculpteur et graveur valdôtain à la tête d’un atelier florissant.
Dans l’antependium, saint Ours – portant au cou une longue étole de soie à franges, un bâton de prieur entouré de trois oiseaux – est représenté dans une attitude charitable : à des pauvres à genoux, couverts seulement d’une misérable tunique et pieds nus, il donne une chaussure. Cet épisode ne figure pas dans les Vies connues du saint, mais il est déjà illustré dans un chapiteau (n° 32) du cloître roman de la Collégiale.
L’antependium, sculpté en bois de Cimbrie, peint, argenté et doré, est riche en détails sur la manière de s’habiller. Les saints portent des tissus de soie à la mode avec des motifs géométriques ou ondulés. Saint Augustin porte aux pieds d’élégantes chaussures pointues à dessus en tissu texturé.
La chaussure que saint Ours remet à ses pauvres
La chaussure que saint Ours remet à ses pauvres est solide et le sculpteur en détaille la forme : on distingue la semelle, le creux du talon, la tige qui devient une languette, peut-être serrée par une lanière. La polychromie a été perdue, il faut s’en contenter, mais on voit quelle admiration et quelle gratitude se dégagent des visages des pauvres. S’agit-il d’un sabot miniature ?
Aoste, jeudi 30 janvier 2025, 10h30. La foire de la Saint-Ours a commencé. Il pleut. Je m’arrête chez un exposant dont les œuvres comprennent une sculpture miniature d’un sabotier au travail, et les sabots terminés – en fiction – reposent sur le sol. Il semble être la bonne personne.
Je lui montre sur mon téléphone portable la photo du détail de la chaussure dans l’antependium. Selon lui, il s’agit d’une sorte de sabot, ou plutôt d’un sabot, avec une tige en cuir et une lanière. Je le remercie. Il s’appelle Elio Sucquet et vient de Saint-Vincent.
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