Le prix Ostana 2025 pour les écrits en lingua madre se déroule au pied du mont Viso, dans le petit village alpin d’Ostana, dans la province de Coni, du 27 au 29 juin 2025 .
La dix-septième édition est un espace d’écoute, de reconnaissance et de célébration des cultures et des langues minoritaires, dans lequel les histoires, les idées, la musique et l’art s’entremêlent non seulement pour parler de territoires considérés comme marginaux, mais aussi pour proposer les langues historiques comme une ressource vivante pour la culture mondiale.
Une langue minoritaire est une langue maternelle, souvent d’origine ancienne, parlée par une communauté minoritaire par rapport à la langue officielle. Le premier document à envisager sa protection a été le « Pacte international relatif aux droits civils et politiques« , adopté par l’Assemblée générale des Nations unies en 1966 et entré en vigueur en 1976.
En 1992, la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires a été rédigée, suivie par la « Convention-cadre pour la protection des minorités nationales« , adoptée par le Conseil de l’Europe à Strasbourg en 1995 et entrée en vigueur en 1998.
En Italie, douze minorités sontprotégées par la loi 482 de 1999« Règlement sur la protection des minorités linguistiques historiques« , dont quatre sont parlées dans le Piémont et en Vallée d’Aoste.
Un projet culturel global au cœur des Alpes
Lancé en 2008 à l’initiative de la commune d’Ostana et de l’association Chambra d’Oc, le prix Ostana a accueilli au fil des ans plus d’une centaine d’artistes des cinq continents : écrivains, poètes, musiciens, metteurs en scène et traducteurs, avec plus de 50 langues maternelles représentées.
Le centre polyvalent du village de Miribrart, qui accueille l’événement, devient un espace de rencontres, de lectures, de projections, de performances multimédias et de concerts, dans un dialogue vivant entre les communautés locales et les réalités linguistiques éloignées pour aborder la biodiversité linguistique sous de nombreux angles.
Le programme reconnaît et valorise la contribution d’artistes issus d’horizons géographiques et culturels différents : de la Bretagne au Burkina Faso, de l’Occitanie française à la Croatie, en passant par l’Irlande, la Galice, Madagascar et la Syrie. Des dizaines de langues minoritaires y trouvent une voix, du navajo au breton, du basque au sami, du catalan aux langues anciennes et rares.
Certaines de ces langues ne sont plus parlées aujourd’hui que par un petit nombre, comme l’arbërisht, une variante de l’albanais préservée par de petites communautés ; d’autres, comme l’occitan, sont encore très répandues, avec un nombre de locuteurs estimé à deux millions.
Édition 2025, « Sensa raïtz pas de flors
Cette 17e édition est placée sous la devise « Sensa raïtz pas de flors », « sans racines, il n’y a pas de fleurs », sur laquelle le collectif artistique du prix a composé le chant-hymne homonyme, inspiré de la chanson Can vei la flor du poète troubadour occitan Bernart de Ventadorn.
Il combine les sons archaïques de la vielle à roue, de la cornemuse, du violon et de la clarinette basse avec la musique bordone et la polyphonie des traditions orales alpines et pyrénéennes, et propose un pont entre le passé et le présent, un hymne à l’amour, à la nature et à la solidarité qui représente le sens de l’événement.
Valeur culturelle et effets vertueux
Le prix Ostana valorise les langues « résistantes », encourage le dialogue interculturel et soutient la richesse du multilinguisme en tant que ressource culturelle et politique. Il prend la forme d’un modèle reproductible dans lequel la culture devient un moteur de valorisation territoriale et identitaire, redonnant sens et dignité aux minorités à travers les mots. C’est l’une des expériences internationales les plus significatives pour tester la santé des langues minoritaires, mais aussi pour éveiller chez leurs locuteurs ce sentiment d’appartenance et de fierté qui fait de la langue un corps vivant à habiter.
Au fil du temps, Ostana est devenu un événement de référence mondial, reconnu par l’UNESCO, qui a proclamé la« Décennie internationale des langues autochtones 2022-2032« , et soutenu par deux importants réseaux internationaux engagés dans la défense de la diversité linguistique : ELEN (Réseau européen pour l’égalité des langues) et NPLD (Network to Promote Linguistic Diversity).
L’objectif n’est pas la préservation statique des langues perçues comme étant en déclin, mais leur utilisation vivante en tant qu’outils créatifs pour raconter le présent, construire des imaginaires contemporains et générer des relations. Dans cette perspective, le prix Ostana s’efforce de créer un sentiment d’enracinement, capable d’accueillir ceux qui viennent d’autres cultures, de sorte que les langues historiques puissent être configurées non pas comme des barrières, mais comme des ponts. Non pas des fermetures identitaires, mais des ouvertures relationnelles : un nouvel espéranto avec des racines anciennes.
Ostana protagoniste : la renaissance d’une idée alpine

L’histoire d’Ostana est l’une des plus emblématiques de la régénération des Alpes. Le village, qui semblait voué à disparaître il y a encore quelques décennies, a bénéficié d’une vision associant institutions, culture, architecture et paysage.
En 1921, Ostana comptait près de 1 200 habitants. Puis l’émigration, l’abandon de l’économie agropastorale et l’attraction croissante des villes industrielles du Piémont ont vidé ses maisons. Les hautes vallées occitanes du Piémont ont été parmi les zones de l’arc alpin européen les plus touchées par les processus de dépeuplement du XXe siècle. À la fin des années 1980, le village ne comptait plus que cinq habitants permanents, pour la plupart des personnes âgées, tandis que le patrimoine bâti était à l’état d’abandon et de délabrement, de nombreuses maisons étant réduites à l’état de ruines.
De la vision à la réalité
Le principal promoteur de la renaissance d’Ostana a été le maire Giacomo Lombardo, avec ceux qui, comme Ines Cavalcanti, promotrice et directrice artistique de l’Ostana Award, Walter Giuliano, les architectes Antonio De Rossi et Renato Maurino, ont cultivé avec passion une vision, celle de reconstruire le territoire à travers l’écoute et la motivation.
Un travail patient qui s’est concrétisé par la mise à disposition d’outils, l’accompagnement des personnes, l’éducation à la relation avec le lieu. C’est ainsi que sont nés de petits potagers biologiques, des fermes de montagne, des ateliers d’artisans et des espaces culturels.
Depuis 1985, rien de nouveau n’a été construit à Ostana, les bâtiments ont été réaménagés avec de la pierre et du bois, selon des critères de rénovation cohérents avec le paysage. Un autre levier utilisé a été et est toujours la valorisation de la langue des grands-parents, dont les habitants ont découvert dans les années 1980 qu’elle s’appelait l’occitan.
Aujourd’hui, Ostana compte environ quatre-vingts résidents, essentiellement des jeunes et des familles, et dispose d’une crèche, ainsi que de foyers, d’espaces de coworking et d’ateliers d’artisanat. La langue occitane, longtemps réduite au silence, est à nouveau parlée et enseignée. On expérimente des formes de coopération, on construit des parcours éducatifs et culturels, on surveille l’impact du tourisme pour éviter les dérives spéculatives, et le festival devient un moment de rencontre, de discussion et d’élaboration.
L’accent est mis sur la beauté, « parce que la beauté amène d’autres beautés », comme le dit le maire Lombardo. Un processus qui a valu à la petite municipalité de la vallée du Pô de nombreux prix au niveau européen, récompensant la qualité de ses paysages, son engagement en faveur de la durabilité et la cohérence entre la récupération du patrimoine bâti et la vision sociale.
Une voie possible pour les territoires dépeuplés des Alpes ?
La renaissance des montagnes est possible. La tendance au dépeuplement s’est inversée à Ostana depuis vingt ans. Nombreux sont ceux qui considèrent la montagne comme une opportunité, mais l’attention doit maintenant se déplacer vers le niveau politique et la redistribution des ressources, de sorte que pour le gouvernement italien, la montagne à regarder n’est pas seulement Cortina d’Ampezzo, mais aussi les petits villages.
Les graines plantées depuis des années sont en train de germer. En regardant l’expérience d’Ostana, la culture qui part de la base, du travail capillaire, des langues minoritaires et des communautés locales peut devenir un modèle même en dehors des frontières d’une vallée qui guide les territoires pour qu’ils grandissent avec des compétences qui peuvent jeter les bases de l’avenir. C’est avec cette vision que la 16ème édition du Prix Ostana est lancée.
LIRE AUSSI : Le 29 mai, on se souvient des Escartons et de la Grande Charte dans le Val de Suse