Le Président du Département de la Savoie, Hervé Gaymard, a écrit le 28 mars au Ministre des Transports, Philippe Tabarot, pour lui faire part des priorités de son territoire en matière d’infrastructures.
Cette lettre, qui a été rendue publique hier, a été envoyée à la veille de la visite du ministre en Tarentaise et en Maurienne le 1er avril, ainsi que de sa rencontre avec son homologue italien en charge des transports, le ministre Matteo Salvini.
Le document est intéressant car il représente une sorte d’agenda des priorités, telles qu’exprimées par le Département de la Savoie et son président. L’accent est mis sur le transport ferroviaire, avec d’une importante référence à l’accès routier au Tarentaise et à ses stations de tourisme et de ski. D’une manière générale, la lettre s’articule autour de deux axes : les liaisons avec l’Italie et les transports internes.

Il y a cependant quelques absences, et il s’agit de deux sujets qui font partie du dialogue franco-italien. Tout d’abord, il n’est pas fait mention de la question de l’ouverture du deuxième tube du tunnel routier du Fréjus, souhaitée peut-être davantage par la partie italienne que par la partie française et en tout cas prévue pour juin 2025, comme cela a été mentionné lors du Comité frontalier du Traité du Quirinal qui s’est tenu à Nice le 7 février.
En outre, il n’y a aucune référence à la question des coûts de péage au tunnel routier franco-italien, avec un tarif ajusté comme les municipalités voisines le souhaiteraient. Elles ont activé certains instruments européens pour le moment, d’Interreg à B-Solutions pour des études, mais peut-être que la question n’est pas encore assez forte pour émerger comme une priorité.
La dimension franco-italienne : la réouverture de la ligne ferroviaire historique en Maurienne et l’alerte sur la vulnérabilité des Alpes
Comme point de départ, Gaymard évoque la réouverture de la ligne ferroviaire italo-française en Maurienne, interrompue pendant dix-neuf mois suite à l’éboulement de La Praz du 27 août 2023. Les travaux de restauration, rendus possibles par la collaboration entre le Département de la Savoie (principal responsable de la sécurisation du mur), SNCF Réseau et la société SFTRF du tunnel et de l’autoroute du Fréjus, sont qualifiés de « fondateurs ». Nous avons vu le difficile chantier au-dessus de La Praz, avec les opérateurs suspendus au travail.

Gaymard souligne les implications en termes de résilience climatique et de sécurité des infrastructures, et se réfère au rapport de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD). Publié le 11 avril 2024 sous la signature de Bertrand Looses, le document (Éboulement de la falaise de la Praz – Revue de détail des propositions d’action) souligne que le glissement de terrain a confirmé la vulnérabilité structurelle des axes de transit alpin entre la France et l’Italie.
Dans le même temps, Gaymard rappelle que, fin 2023, le ministre des transports avait annoncé un cofinancement de l’État à hauteur de 50 % pour les études du demi-diffuseur de La Praz sur l’autoroute A43, la section Saint-Michel-de-Maurienne-Modane étant provisoirement gratuite.
Sur cet itinéraire, la route départementale reste exposée à des risques de glissement de terrain même après l’intervention. La gratuité serait temporaire dans l’attente d’une solution structurelle pour l’accessibilité de la Haute Maurienne, et le département de la Savoie a déjà donné son accord de principe pour contribuer (financièrement, s’entend) à l’opération.
L’autoroute ferroviaire alpine et le transport de marchandises
Enfin, il y a la question du transport de fret sur le chemin de fer historique Turin-Lyon. La réactivation de l’Autoroute ferroviaire alpine (AFA), suspendue depuis l’éboulement du 27 août 2023, est urgente. Gaymard demande au ministre que les conditions soient réunies « dans les prochaines semaines » pour la reprise du trafic. L’autoroute ferroviaire, qui a plus de 20 ans d’existence, est décrite comme un service essentiel pour la continuité du transport de marchandises et de la logistique et pour la réduction des émissions de CO2. La question est toujours une question d’argent.
Comme l’a écrit la députée Emilie Bonnivard dans une autre lettre adressée au ministre Tabarot le 3 février, après le glissement de terrain du 27 août, les États italien et français ont cessé de verser leur part à la société. La société aurait accumulé un déficit de 5,6 millions d’euros et ne pourrait plus assurer le transport franco-italien des poids lourds sur wagons, malgré la réouverture de la ligne.
Gaymard signale à Tabarot les impacts territoriaux et les exigences fiscales
Un autre passage de la lettre est consacré au chantier du tunnel ferroviaire international Lyon-Turin. D’une part, Gaymard évoque positivement le baptême du nouveau tunnelier « Viviana » qui creusera un tronçon de dix kilomètres, et réaffirme l’engagement du Département de la Savoie dans la stratégie en faveur du chantier, notamment pour valoriser ses impacts territoriaux.
Cependant, Gaymard soulève la question des ressources financières. Les évolutions réglementaires en matière de fiscalité et l’augmentation des coûts rendent urgent un soutien renouvelé de l’État, notamment par le biais du FAST pour les collectivités territoriales concernées. Le Fonds d’Accompagnement et de Soutien Territorial (FAST) a été activé en 2015, avec un budget de 32 millions d’euros, et avec un programme Grand Chantier, similaire à celui déjà utilisé à d’autres occasions, comme pour la construction du tunnel sous la Manche. M. Gaymard a demandé au ministre d’accorder « la plus grande attention » aux demandes des administrateurs locaux de la Maurienne.

Gaymard souligne avec « la plus grande attention » que les communes touchées par les travaux ont des impacts évidents, à la fois en raison des chantiers de construction, mais aussi des coûts liés à l’arrivée des travailleurs. Cependant, tant les entreprises que les travailleurs laissent leurs impôts ailleurs, dans la commune de leur siège social, ou dans le lieu d’origine et de résidence pour les personnes.
La taxe d’habitation, qui proviendrait des personnes, ne s’applique pratiquement plus et la taxe sur la valeur ajoutée des entreprises aboutit désormais dans les caisses de l’État. Les Communautés de communes qui la percevaient auparavant reçoivent une compensation, mais celle-ci ne tient pas compte du contexte réel.
Le plan interne : décarboniser les transports en vue des Jeux olympiques de 2030
La lettre inscrit le dossier ferroviaire dans la préparation des Jeux olympiques et paralympiques d’hiver de 2030. Selon Gaymard, la pérennité de l’événement dépend de la capacité à développer une offre de transport ferroviaire efficace et décarbonée, capable de servir à la fois l’événement sportif et la mobilité future.
Parmi les interventions considérées comme stratégiques figure le doublement sélectif de la ligne à voie unique Saint-André-le-Gaz / Chambéry, cruciale pour l’accès à la Savoie depuis Lyon. Les premières hypothèses se situent entre 110 et 600 millions d’euros, selon les scénarios techniques retenus. Gaymard lance un appel à chantiers pilotes sur certains tronçons dans les meilleurs délais.
Le projet SERM (Service express régional métropolitain) de Chambéry est décrit comme l’un des plus complexes parmi les six développés par la région Auvergne-Rhône-Alpes. L’initiative concerne l’ensemble de l’étoile ferroviaire locale, y compris le TGV national et international, le transport régional, le trafic touristique et le fret.
2025 sera l’année de préfiguration du projet, basé sur l’axe Aix-Chambéry-Montmélian et la création de nouveaux arrêts, avec des fréquences de trains régionaux toutes les 15 minutes. Un programme régional de transport interne est avancé, à l’image des cadences au quart d’heure préfigurées entre Marseille et Nice. Cette question reste à étudier en Italie, qui réactive au moins des lignes ferroviaires inutilisées dans le Piémont.
La lettre de Gaymard ajoute à l’ordre du jour le doublement de la ligne Aix-les-Bains-Annecy, destiné à renforcer la liaison avec le nord de la Savoie et la Haute-Savoie, en forte expansion démographique. On sent l’effet de rayonnement du district économique qui a son pivot à Genève mais qui est aussi vivant dans la région des Pays de Savoie.
Montmélian, Tarentaise et Bourg-Saint-Maurice : les hypothèses
Le nœud ferroviaire de Montmélian, point d’intersection de plusieurs lignes, nécessite des aménagements rapides. Discuté au niveau des deux départements (à l’Assemblée des Pays de Savoie), il est inscrit dans la déclaration d’utilité publique de la ligne Turin-Lyon depuis 2013. L’investissement prévu est de 78 millions d’euros.
Pour la Tarentaise, en revanche, il est prévu de doubler deux tronçons de ligne ferroviaire pour un total de 40 kilomètres et un coût de 700 millions d’euros. Les travaux, selon M. Gaymard, ne pourront pas commencer avant 2030, mais l’inclusion du projet dans le paquet olympique aurait une valeur symbolique et politique. Et c’est aussi un moyen de favoriser son financement, on pourra noter.
Enfin, dans la gare de Bourg-Saint-Maurice, en Haute Tarentaise et dernier point de correspondance, 10 millions d’euros de travaux sont nécessaires pour créer de nouveaux espaces de stationnement et de manœuvre pour les trains de nuit. C’est la seule intervention, selon le président du département de la Savoie, qui pourrait être réalisée avant le début des Jeux Olympiques.
La section française de la ligne Lyon-Turin et la sécurisation de la RN90 en Tarentaise
M. Gaymard conclut en soulignant la nécessité de coordonner les investissements olympiques avec ceux prévus pour la section française entre Lyon et Saint-Jean-de-Maurienne de la ligne Lyon-Turin, en particulier le scénario « Grand Gabarit », c’est-à-dire pour le transport de marchandises.
La lettre rappelle la centralité de la planification opérationnelle à court terme, à mettre en œuvre à travers l’actuel et le prochain Contrat de Plan entre l’Etat et la Région Auvergne Rhône-Alpes (CPER), et à travers les prochains programmes dans la perspective des Jeux de 2030. Il y a eu un moment d’arrêt sur ce dossier lorsqu’il est apparu que le financement des études, auquel l’Union européenne contribuait, ne pouvait pas être bouclé en janvier 2024.

La route en Tarentaise
Le dernier point de la lettre concerne la Route nationale 90, axe crucial vers la Tarentaise, dont la fragilité a été une nouvelle fois démontrée par l’éboulement soudain du samedi 1er février, jour du changement hebdomadaire dans les stations de ski et à la veille des vacances d’hiver des écoles. Le doublement du tunnel de Ponserand est considéré comme « incontournable » et Gaymard se dit prêt à travailler avec les maires pour le faire démarrer rapidement.
Le 1er avril, le ministre Tabarot a effectivement visité le chantier, et le sujet a également été abordé avec les maires et les représentants politiques lors de la réunion de Moûtiers. Il a été entendu que la volonté est là, qu’il faut trouver l’argent, et que le calendrier n’est pas là pour réaliser les travaux d’ici 2030.
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