Nous diffusons l’article de Jean-Pierre Darnis, publié dans The Conversation, sur les relations franco-italiennes, et entre Giorgia Meloni et Emmanuel Macron
Le 3 juin 2025, Emmmanuel Macron a rencontré Giorgia Meloni à Rome : ce fut la première visite bilatérale entre le chef de l’État français et la responsable de l’exécutif italien depuis l’arrivée de cette dernière au pouvoir en septembre 2022. Il aura donc fallu presque trois ans pour qu’elle soit organisée, une lenteur qui tranche avec les décennies précédentes.
À la suite de l’élection de François Mitterrand en 1981, les deux pays, membres fondateurs de l’Union européenne, avaient instauré des sommets bilatéraux annuels pour favoriser et institutionnaliser leur dialogue. Ces rapports, constants, ont connu une relative continuité jusqu’à une période récente. La relation s’était déjà dégradée après la première élection d’Emmanuel Macron, en 2017, notamment à cause des accords portant sur la reprise par l’entreprise italienne STX Fincantieri des chantiers navals de Saint-Nazaire et du fait des désaccords sur la question libyenne.
L’arrivée au pouvoir à Rome en 2018 d’une majorité populiste conduite par le Mouvement 5 étoiles (M5S), associé à la Lega (Ligue du Nord), un parti qui a connu une évolution extrémiste, a envenimé ces tensions, mais elles se sont apaisées l’année suivante avec le changement de coalition, le M5S gouvernant à partir de ce moment-là aux côtés du Parti démocrate.
Avec l’accession de Mario Draghi à la tête du gouvernement italien en 2021, une forme d’idylle bilatérale s’est même brièvement fait jour. Cette période a été marquée par la signature en novembre 2021, à Rome, du traité dit du « Quirinal », qui constitue un tournant dans l’institutionnalisation des relations entre la France et l’Italie.
Le dispositif
Le texte met en place un dispositif comparable à celui qui régit les relations franco-allemandes depuis le traité de l’Élysée en 1963. Le traité du Quirinal, qui n’est véritablement entré en vigueur qu’en 2023, vise à systématiser le travail bilatéral entre les différents ministères français et italien – une démarche qui a produit des effets positifs.

La crise des années 2018-2019 avait mis en évidence la faible compréhension mutuelle entre les deux pays. En témoignent leurs divergences d’appréciation sur la situation au sud de la Méditerranée, la France souhaitant donner la priorité à la lutte contre le terrorisme alors que l’Italie avançait plutôt une vision d’équilibre régional afin de gérer à la fois la pression migratoire et les approvisionnements énergétiques.
Toutefois, le travail effectué au sein des ministères des affaires étrangères et de la défense des deux pays a permis de développer les convergences. Fait remarquable, la présence d’un contingent italien au Niger procure à Rome une empreinte militaire en Afrique – et ce, alors que l’ensemble du dispositif français dans la zone s’est replié. Cette capacité italienne permet à Rome de disposer d’une autonomie d’analyse, qui faisait défaut dans la période précédente et qui correspond au projet dit « plan Mattei », que Giorgia Meloni défend désormais pour l’Afrique.
Des perceptions réciproques teintées de méfiance
En Italie, la perception de l’histoire de la nation italienne, celle du processus d’unification au XIXe siècle, est parsemée de références contrastées à l’action française dans la péninsule : les deux campagnes napoléoniennes, l’intervention de Napoléon III lors de la seconde guerre d’indépendance italienne ou bien la prise de contrôle de la Tunisie par la France, en 1881, constituent, aujourd’hui encore, des épisodes douloureux.

Côté français, en revanche, on insiste sur des références communes et positives de latinité ou de chrétienté. Ces lectures apparaissent comme des échappatoires aux yeux de bon nombre d’Italiens, convaincus d’être les détenteurs quasi monopolistiques de l’héritage romain et chrétien. Les deux romans historiques nationaux divergent, ce qui fait le lit de bien des incompréhensions.
Les analyses croisées
Il en va de même en ce qui concerne les analyses croisées de la situation politique interne.
Aux yeux des Italiens, le régime semi-présidentiel de la Ve République a toujours été démocratiquement suspect, car il concentrerait trop de pouvoirs aux mains d’un seul responsable ; et chez les Français, le parlementarisme italien a souvent provoqué une forme d’incompréhension de par le jeu parfois byzantin des partis.
Cette interprétation constitutionnelle constitue la base de la traditionnelle défiance des Italiens à l’égard des présidents de la République français – une défiance particulièrement ressentie à l’égard d’Emmanuel Macron, d’autant plus que l’actuelle coalition de droite se veut souverainiste, ce qui la pousse régulièrement à critiquer un président français avec lequel elle se perçoit en compétition sur de nombreux dossiers.
Les majorités de droite italienne ont souvent donné lieu, en France, à des interprétations erronées lorsqu’elles sont vues comme promouvant le libéralisme économique. Or, la coalition dirigée par Giorgia Meloni depuis 2022, certes conservatrice sur le plan sociétal, n’entend pas, en matière économique, réduire le périmètre d’intervention de l’État.
De plus, il faut également relever que la perception de Giorgia Meloni en France est influencée par la position particulière de Marine Le Pen au sein du jeu politique, deux facteurs qui gagneraient à être différenciés (le RN et Fratelli d’Italia, le parti de Meloni, ne siégeant pas par exemple au sein du même groupe au Parlement européen).« L’Italie dans l’UE : la voie Meloni », L’Essentiel du Dessous des cartes, Arte (mai 2024).
La nécessité de parler d’une même voix
Enfin, le cadre stratégique suscite à la fois des inquiétudes mais aussi de potentielles convergences. Depuis 2022, les gouvernements français et italien ont toujours soutenu l’Ukraine face à l’agression russe. Cette position reflète également une forme d’orthodoxie en matière européenne. En revanche, une divergence est apparue récemment face à la prise de distance de la seconde présidence Trump à l’égard de l’Europe. Pour les Français, c’est le signe d’une rupture de l’alliance transatlantique. Les Italiens partagent le constat de base, mais continuent à penser que le « camp occidental » doit être maintenu, avec l’idée que les excès du début de la présidence Trump vont laisser place à une forme de retour au pragmatisme.
Sur ce point, l’Italie diverge non seulement de la France, mais aussi de l’ensemble des pays européens, Allemagne et Pologne en tête, qui prennent non seulement extrêmement au sérieux une future menace russe contre l’Union mais entendent aussi se doter de mécanismes pour suppléer à l’éventuel retrait américain. En ce sens, il faut relever que le chancelier allemand Friedrich Merz apparaît désormais comme une force motrice pour l’Europe.
Alors qu’il a récemment eu des rencontres bilatérales de qualité aussi bien avec Emmanuel Macron qu’avec Giorgia Meloni, les difficultés de communication entre ces deux derniers leaders pouvaient causer des problèmes au cœur d’une Europe qui, dans le contexte actuel, doit plus que jamais parler d’une même voix.
La relance des rapports bilatéraux s’impose
La relance des rapports bilatéraux entre Paris et Rome s’impose donc. Elle peut s’appuyer sur un instrument existant, le traité du Quirinal, qui prévoit d’ailleurs l’organisation de sommets bilatéraux annuels et des rencontres régulières entre ministres, une série de processus à même de reproduire avec l’Italie la solidité du rapport avec l’Allemagne. D’ailleurs, la reprise des rencontres au sommet entre la France et l’Italie – l’entrevue entre Macron et Meloni ayant notamment débouché sur l’annonce d’un sommet gouvernemental bilatéral prévu pour le premier trimestre 2026 – constitue une bonne nouvelle.
Il est en effet indispensable que l’intensité et la qualité du dialogue entre ces deux poids lourds de l’UE soient à la hauteur aussi bien de leur niveau d’intégration au sein de l’Union que de leur communauté de vues sur les questions stratégiques telles que la nécessité de fournir un soutien indéfectible à l’Ukraine. La rencontre du 3 juin a permis un premier tour de table stratégique entre les deux leaders, qui ont évoqué les dossiers les plus délicats en exprimant la volonté de rechercher une position commune pour le prochain G7 (au Canada, du 15 au 17 juin 2025) en matière de sanctions et de position à l’égard de la Russie.
Les errements de la seconde présidence Trump donnent à Paris et à Rome une excellente occasion de surmonter les guerres picrocholines pour se concentrer sur le maintien, voire le développement, d’un modèle européen commun.
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Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.