Avis aux photographes, aux curieux, aux passionnés d’art et d’histoire et à tous les amateurs des beaux paysages du pays du Mont Blanc et de la Haute-Savoie, il existe une randonnée, facile, qui relie plusieurs églises et chapelles baroques dispersées dans des hameaux ou en pleine nature: c’est le sentier du baroque.
Nous sommes entre Cordon et Saint-Gervais, et jusqu’au Val Montjoie. Le Mont Blanc domine tous les paysages de ses glaciers et de sa blancheur immaculée en toute saison.
Au détour d’un chemin, à l’entrée d’un village, dans une forêt, surgissent des chapelles. De prime abord, rien de très étonnant en montagne : on voit souvent des croix ou des autels érigés en protection des lieux et des voyageurs.
L’esprit de la Contre-Réforme en Haute Savoie
Mais celles-ci sont différentes. Construites pour la plupart au XVIIe ou au XVIIIe siècle, elles sont décorées dans le style baroque qui apporte l’élan, la lumière et l’imagerie nécessaires à l’église Catholique pour répondre et freiner le développement de l’église Réformée.
Au XVIe siècle, les protestants occupent le Chablais (la partie de la Haute Savoie au nord de l’Arve et jusqu’au lac Léman) et surtout la ville de Genève, où un certain Jean Calvin est devenu maître des lieux. L’évêché catholique a même dû être transféré à Annecy. François de Sales, natif de la région et plus tard canonisé Saint François de Sales, a été missionné pour convertir et apaiser ces territoires. Il ne pourra rien faire pour Genève, mais réussira à reconvertir tout le Chablais avant la fin du XVIe siècle.
La conversion de Thonon, par une campagne d’affichage dans les lieux publics et dépôt sous les portes des habitations de ses prédication imprimées en a même fait le Saint patron des journalistes et des écrivains !
Plus tard, au XVIIe et XVIIIe siècles, il est nécessaire d’affirmer l’identité catholique de ces terres de Haute-Savoie, situées en bordure d’une région protestante. Les évêques poussent les diocèses à restaurer les églises, les chapelles, les oratoires et tout symbole du Catholicisme. Les riches, les notables et les émigrés ayant fait fortune à l’étranger mettent la main à la poche.
L’architecture du baroque comme point d’identité
Le pouvoir spirituel est toujours vif en ce temps-là, mais les riches familles de donateurs et mécènes veulent aussi en profiter pour manifester leur puissance. Les émigrés, partis faire fortune ailleurs, en profitent aussi pour faire un geste envers les terres d’origine.
Au passage, ils espèrent tous, aussi, un accès facilité vers le Paradis le moment venu. La décoration des églises et des chapelles se transforme alors un message de propagande aux populations locales. On raconte les histoires religieuses à travers les retables, on glorifie la religion catholique à travers le style riche, coloré, et figuratif propre de l’art baroque. Parfois on y mêle des éléments de la vie politique locale.
Le plus souvent, les tableaux racontent la vie des saints ou de la Vierge, les statues foisonnent, les couleurs des bois polychromes ou des plafonds donnent une touche de vie. Tous ces éléments contrastent avec l’approche protestante, plus sobre et minimaliste, de la religion.
Si c’est pendant le XVIIe siècle que plusieurs chapelles et oratoires sont embellis, les grandes églises, elles, bénéficient de cet élan de renouveau plutôt au début du XVIIIe siècle.
Cordon, Combloux et Saint–Gervais, les points d’entrée du sentier du baroque
Les villages de Cordon et Combloux, disposés sur un plateau facilement accessible depuis la gare de Sallanches, bien en face du massif du Mont Blanc sont embellis par deux belles églises baroques.
L’église Saint Nicolas de Combloux, avec son clocher à double bulbe et double galerie qui se détache sur les neiges éternelles du toit de l’Europe est un des monuments les plus photographiés de Haute Savoie.
La décoration intérieure de l’église, construite au tout début du XVIIIe siècle, applique tous les préceptes de l’art baroque : on retrouve les colonnes torsadées, les dorures et un retable classé aux monuments historiques. A l’extérieur un cadran solaire orne la façade : on dit que c’est un des plus anciens de Haute Savoie.
L’église Notre Dame de l’Assomption, à Cordon a été construite à la fin du XVIIIe siècle. Surmontée d’un clocher à bulbe à lanternon, elle cache des trésors de l’art baroque : des statues, des parures colorées (le bleu pour le ciel, le pourpre pour le sang, l’or pour la lumière), des dorures, des tableaux… tout l’art religieux y est représenté. Tout comme à Combloux, on retrouve à l’extérieur un cadran solaire.
En particulier, à Saint-Gervais …
Plus loin, à Saint Gervais-Mont Blanc, au pied du géant des Alpes, l’église de Saint-Gervais et Saint-Protais, a été agrandie et reconstruite au début des années 1700 grâce au mécénat d’un marchand originaire du village et vivant à Vienne en Autriche. Son retable présente de nombreuses statues polychromes ou recouvertes de dorures placées chacune dans une niche séparée des autres par des colonnes. Une explosion de couleurs et de personnages qui tranche avec l’ambiance plutôt sobre du reste de l’église. C’est d’ailleurs souvent le cas des églises baroques de cette région. Plus récemment, l’église a été entièrement restaurée dans le cadre du projet ITINERAS du programme Interreg ALCOTRA en 2016, et les vitraux que l’on peut admirer sont contemporains, œuvre de l’artiste-prêtre Kim En Joong.
On peut rejoindre le sentier du baroque à partir de ces trois villages, où l’on peut aisément trouver un hébergement et des points de restauration.
Les chapelles du sentier du baroque
C’est sur les hauteurs de Saint Gervais-Mont Blanc que démarre, à proprement parler, le sentier du baroque. On peut y accéder également par un beau sentier dans la forêt depuis Combloux, mais c’est plus long.
C’est un instituteur local, Jean-Paul Gay, qui, dans les années 70, avec ses élèves, a décidé de baliser cette balade. Avec toujours le massif du Mont Blanc en toile de fond. La première chapelle se trouve dans le hameau de Cupelin, sur les pentes du Mont d’Arbois, en face du village de Saint Gervais. Entre Cupelin et Notre Dame de la Gorge, tout au fond du Val Montjoie, sur une quinzaine de kilomètres, c’est un alignement de petites chapelles que le promeneur découvre au gré de sa balade.
Au fil du premier segment de promenade on découvre l’oratoire du Brettey, les chapelles du Gollet, de la Combe, des Plans, de l’Oratoire du Crozat, des Chattrix et l’Eglise de Saint Nicolas de Véroce.
La chapelle de Cupelin, construite en 1654, est précédée d’une Croix de la Passion (sur laquelle sont figurés tous les instruments de torture utilisés lors de la crucifixion du Christ). Ses décorations ont été financées par les dons des notables locaux de l’époque qui ont répondu présent aux demandes du diocèse. Plus récemment, l’artiste coréen, et prêtre dominicain contemporain a également décoré les vitraux de cette chapelle.
La Chapelle des Chattrix
Parfois ce sont des émigrés qui ayant fait fortune dans des terres étrangères financent les travaux d’embellissement. C’est le cas de la chapelle des Chattrix , érigée en 1694, embellie entre 1720 et 1723 grâce aux dons des frères Génamy, marchands partis faire fortune à Vienne en Autriche .
Après avoir admiré les fresques qui décorent sa façade, on peut admirer à l’intérieur plusieurs peintures dont une toile représentant le Saint Sacrement, symbole de la présence du Christ dans l’hostie, une des principales différences entre les symboles protestants et catholiques.
Parmi les curiosités du site, les chaises sont nominatives : elles étaient louées par les croyants, ce qui augmentait les revenus de la paroisse. Entre juin et octobre, les portes sont ouvertes, et on peut voir cette somptueuse décoration à travers les grilles. La Chapelle des Chattrix est inscrite aux monuments historiques depuis 1976. C’est un des joyaux du sentier du baroque.
Saint-Nicolas-de-Véroce
Mais le chef d’œuvre du sentier du baroque est sans nul doute l’église de Saint Nicolas de Véroce, située un petit kilomètre plus loin, à l’entrée du village.
Les marchands, notables et émigrés dans les pays alémaniques ont tous contribués au XVIIIe siècle à sa rénovation. La décoration somptueuse de cette église avec un plafond décoré d’or et de bleu, couleurs du ciel et du soleil, rappelle au visiteur et au pèlerin la puissance de l’église catholique.
Le retable et et les quatre autels sont des chefs d’œuvre de l’art baroque. La figure de Saint François de Sales, missionnaire de la Contre-Réforme en Haute-Savoie, qui a été un des premiers à impulser ce mouvement de renouveau dans la région, y est représentée.
Jouxtant l’église, le musée d’Art Sacré permet d’approfondir les sujets pour les plus passionnés des promeneurs. On y retrouvera par ailleurs le trésor de l’église de Saint-Nicolas de Véroce et certains éléments décoratifs des autres chapelles du sentier, comme les statues de la chapelle du Gollet .
Celle-ci, édifiée en 1664, abrite encore plusieurs tableaux religieux. Sur les murs de la chapelle des Pratz, on retrouve une plaque de remerciement à la Vierge qui aurait protégé le hameau de la destruction crainte pour des représailles après la mort de deux soldats allemands sur les lieux pendant la seconde guerre mondiale.
La deuxième partie de la balade permet de redescendre vers le fond de la vallée, jusqu’à la Chapelle de Notre Dame de la Gorge, important lieu de pèlerinage le 15 août, après le village des Contamines-Montjoie en empruntant le chemin qui mène vers l’Italie à travers le col du Bonhomme.
L’art baroque célébré de nos jours
Le sentier baroque du Val Montjoie en Haute Savoie se visite toute l’année, mais c’est à la belle saison, lorsque les portes des chapelles sont ouvertes que l’on peut apprécier tout le faste et l’exubérance du style baroque. Les guides du patrimoine sont aussi à disposition pour organiser vos visites.
Ce style artistique n’est pas figé dans les églises et les chapelles. Il vit encore de nos jours et on continue de le célébrer en Haute Savoie. C’est surtout la musique baroque qui est à l’honneur dans la région.
Cordon est en effet le siège d’un grand festival de musique baroque qui se tient chaque année en juillet. C’est le festival baroque du Pays du Mont Blanc. En 2024, il se tiendra du 12 au 21 juillet. Plusieurs groupes musicaux s’y produiront sur le thème « Ombre et Lumière ».
En juin et juillet, de nombreux événements autour de l’art baroque se tiennent dans les villages qui entourent Sallanches. Cordon, Combloux, Passy, Saint Nicolas de Véroce, Praz sur Arly et Sallanches accueillent des activités variées. La compréhension de la peinture baroque est possibile à travers des ateliers. En plus, des visites guidées offrent des explications sur les projets de restauration et des sorties expérientielles mêlent musique et images, musique et paysages.
Randonner sur le sentier du baroque, faire des pauses dans les villages pour admirer de somptueuses églises devient un plaisir encore plus intense lorsqu’on lève les yeux pour admirer le paysage grandiose du massif du Mont Blanc qui sublime ces œuvres d’art en leur offrant un écrin unique au monde.
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